WINTZENHEIM . LOGELBACH

Auguste Haussmann - Guerre - 1871


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Année 1871

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1er janvier : L’année commence comme la triste année a fini : froid et bombardement. Le temps reste nébuleux jusqu’au 5. Les forts de Nogent, Rosny et Noisy ont très peu souffert. Il y a eu très peu de tués et de blessés.

5 janvier : Je monte aux buttes Montmartre. Le bombardement s’est déplacé. Il se dirige contre les forts de Montrouge, Vanves et Ivry (ou Issy ?). Mais l’horizon brumeux empêche de voir. On n’entend plus rien du côté de Nogent. Rien au Nord. Des obus sont tombés dans Paris, dans le 14ème arrondissement. Quelques tués et blessés.

6 janvier : Le temps s’est bien radouci. Le ciel est bleu. Il dégèle. Je vais à Passy, le chemin de ceinture n’allant plus que jusqu’à Auteuil. Je voulais aller au Point du Jour qui a reçu beaucoup d’obus.

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On entend la canonnade vers Auteuil.

7 janvier : Plein dégel et pluie. 5°de chaud. Je vais au Trocadéro. On entend une forte canonnade vers le S.O., mais on ne voit rien à cause de la brume.

9 janvier : Il neigeotte. Je vais dans le quartier du Panthéon voir l’effet des obus. Fenêtre trouée d’une maison rue de Médicis (près du Luxembourg) atteinte. Près de la rue Gay-Lussac, rue des Ursulines, je vois une maison atteinte. Une femme et sa fille à la porte de la maison me racontent que l’obus est tombé vers 3h ½ du matin en éclatant sans blesser personne. Un peu plus loin, une bombe a coupé les 2 jambes à une jeune femme qui est morte.

Rue d’Ulm, on me dit qu’il en est tombé mais je ne vois rien. Le Panthéon est fermé. Je vais à St Etienne du Mont qui est plein de fidèles pour la neuvaine...

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... de Sainte Geneviève.

En sortant, je vois du monde que les 7 .... Une maison présente sur un mur le sillon d'un boulet et dans le mur le trou d'un autre obus. Les murs des maisons en face sont criblés d’éclats d’obus, ainsi que le mur d’un bâtiment public de la place du Panthéon. Des pompiers me disent que ces derniers éclats proviennent d’un obus qui a éclaté sur le ......... Ces obus ont dû friser de près le dôme du Panthéon dont les Prussiens croyaient le bas plein de poudre comme il y a quelques semaines.

On voit beaucoup de petites voitures de déménagement dans le quartier et des groupes curieux ou inquiets dans les rues.
On entend fortement la canonnade mais il paraît que ce sont nos forts. Les obus prussiens ne tombent que la nuit.
Aujourd’hui bonnes nouvelles par un pigeon. Victoire de Faidherbe...

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... à Bapaume. Succès à Nuits. Le prince Guillaume de Bade tué. Dijon réoccupé par Garibaldi. Bonne position de Chancy & Baalek ? Nous étions depuis plus de 15 jours sans pigeons.

10,11 janvier : Continuation du bombardement pendant la nuit.

12 janvier : Je retourne dans le quartier du Panthéon. Je remarque nombre de traces d'éclats d'obus sur le boulevard Saint-Michel le long du Luxembourg.

Près du Val-de-Grâce, rue Saint-Jacques, on me montre un mur défoncé.

Au moment où j’arrive au coin des rues Saint-Jacques et Gay Lussac, un obus venait de tomber au res-de-chaussée d’une maison de cette rue, d’aveugler une femme et de blesser ou tuer 4 ou 5 personnes. Je rencontre plusieurs civières.
Le temps est vraiment froid : - 6°. Aujourd’hui on bombarde Plaisance. La nuit dernière a été un peu plus calme.

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13 janvier : Retourné au Point du Jour d’où je ne vois rien à cause du brouillard. On entend le canon dans le S.E.

Passé à l’hôtel du gouverneur de Paris. On m’adresse à un capitaine de service auquel je dis qu’on m’a engagé à demander chez le gouverneur de Paris un permis pour interroger les prisonniers, ayant été consul en Allemagne et parlant allemand. Ce jeune fat, à l’air petit crevé, me répond « Mais, Monsieur, le service des interprètes est organisé ! » Je lui réponds que c’était non pas un service que je réclamais, mais un service que je proposais de rendre et je lui tourne le dos carrément......

Ce soir je retourne au Club Cadet. Un orateur demande le rationnement du pain : je crois que c’est Briosne. Un Monsieur St Liluère ? , du Figaro, demande la parole. Il est hué. On crie « à la porte » malgré l’intervention du bureau.

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Enfin il est obligé de se retirer et même on le fait sortir de la salle qques instants en le menaçant de l’exporter.

Le citoyen Pegaume, je crois, fait un long et assez habile, mais sinistre discours, qui tend, à ce qu’il me semble, à l’annulation du gouvernement et à une sortie en masse, mais il ne le dit pas clairement.

La fumée de tabac est asphyxiante. Les citoyennes, restant du 1/4 de monde, sont nombreuses.

14 janvier : Visite à M. Ferd. de Lesseps qui blâme comme moi la présence d’un envoyé français à la Conférence de Londres. Un de ses fils est attaché à l’Etat-Major du Général Ducrot. Il l’a vu hier et dit que le 1/3 des troupes est malade.

15 janvier : Aujourd’hui dimanche, la canonnade prussienne redouble par un froid de 7°. Ils bombardent surtout nos forts de Vanves, Montrouge et Ivry.

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Je compte en moyenne 12 coups à la minute.

16 janvier : Dégel. Je vais au Trocadéro par la pluie. On voit très bien le feu des Prussiens sur toute la chaîne des collines du Sud. Le son suit d’assez loin la flamme. Je ne vois point tomber d’obus sur le quartier du Champ de Mars. L’horizon est assez net. La pluie vient le troubler.

Aujourd’hui j’ai été soulagé d’une grande inquiétude que j’éprouvais depuis 4 mois. Vallée m’annonce par une lettre qu’il vient de recevoir une dépêche de Colmar du 28 novembre et que tout le monde se porte bien. Le bon Fritz est donc rétabli, grâce à Dieu !! Adresser les lettres à Eug. Risler. Toute la nuit, du 15 au 16, la canonnade a été formidable et continuelle. Elle continue aujourd’hui.

17 janvier : Diminution cette nuit. Reprise le jour. Je retourne au Trocadéro. Aujourd’hui l’horizon est clair. Je constate que...

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... le feu de nos forts (Vanves, Montrouge, Issy) est bien plus nourri que celui des Prussiens de Châtillon et de Clamart. En général, le bombardement a bien molli.

En 20 jours, il a tué 50 personnes et blessé 180 autres, surtout des femmes et des enfants. Les hôpitaux ont été particulièrement atteints.

18 janvier : Visite de Vallée qui me parle de la prétendue évacuation des munitions du fort d’Issy et de la construction de batteries prussiennes à Avron d’où elles pourraient bombarder Belleville. Or Lamann ( ?) me montre à la mesure que la distance est de 8000 mètres tandis que le tir des Prussiens ne dépasse pas 7000 à 7500 !

Il parle aussi de l’éventualité de la reddition. Je l’accompagne au Ministère de la Guerre. Chacun des 8 régiments de cavalerie a donné 100 chevaux à la boucherie ! Il demande aussi des sorties. Nous rencontrons...

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....sur le quai une longue file de gardes nationaux mobilisés se dirigeant vers l'ouest. Une action se prépare. Victor est parti aujourd’hui avec un bataillon pour Fontenay. Fort rhume. Le dégel continue.

19 janvier : Aujourd’hui (après 4 mois de blocus) sortie de Trochu. Attaque de Montretout, Bouzenval et La Jonchère par surprise cette fois ! Les premiers bulletins sont excellents. Les derniers de 9h du soir mauvais. Trochu annonce que la canonnade ennemie l’a obligé d’évacuer les hauteurs. Il a remis son commandement de Paris à Le Flô.
Proclamation du gouvernement.
Rationnement du pain à 300 grammes.

20 janvier : Je vais à Passy (rue Renaud). Malgré la brume, je distingue les feux de nos forts et des Prussiens. Un .?... me signale le sifflement d’un obus. On dit que nous tenons toujours à Montretout, que ce sont les hauteurs de Garches que nous avons évacués. Erreur : Montretout est évacué aussi.

Dans la marge, en haut :

Il est touchant de voir nombre de femmes suivant les bataillons....

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On annonce le débloquement de Belfort -erreur-. Je pense que Bourbaki va tendre la main à Faidherbe pour couper les communications prussiennes.

C’est sans doute l’approche de Chancy qui a motivé la sortie ( ?)

Erreurs. Chancy a été battu, a perdu 10.000 prisonniers, 12 canons et obligé de se retirer vers Laval derrière la Mayenne.

Consternation dans Paris. Vive mésentente entre Trochu et Ducrot qui a été en retard de 2 heures !...

21 janvier : Visite à B......- Il dit « Nous sommes foutus, nous n’avons du pain que jusqu’au 10 février. Il faut capituler dans 5 ou 6 jours. Il s’irrite quand on lui parle de l’arrivée probable de Bourbaki. .......?....

22 janvier : (Triste journée d’émeute des Rouges)

Le bombardement de St-Denis a commencé hier. Ce matin, l’Officiel annonce que Trochu a cédé le commandement en chef à Vinoy et qu’il reste Président du Gouvernement.

Dans l’après-midi, des gars des clubs rouges, en uniforme, marchent sur l’Hôtel-de-Ville...

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... pour proclamer la Commune et ils commencent, paraît-il, le feu. Des mobiles bretons ouvrent les portes de l’Hôtel-de-Ville et font feu à leur tour. La place se vide. Il y a des morts et des blessés.

Flourens a été délivré cette nuit de Mazas* et installé, un moment, à la Mairie du 20ème. Le soir, l’ordre se rétablit. Il y a eu une barricade de 5 omnibus dans la rue de Rivoli.

Les journaux donnent la suite des bulletins allant jusqu’au 16, qu’on avait d’abord dissimulés. Il paraît qu’il a subi un vrai désastre d’après sa dernière dépêche et que l’armée de Frédéric Charles s’est grossie de renforts venus de Paris.

Si Trochu avait agi à temps, comme tous les généraux le demandaient, il aurait retenu les Prussiens ici. Cet homme a été d’un entêtement et d’une maladresse inouïe et coupable.

* Maza : ancienne prison cellulaire située en face de la gare de Lyon, détruite en 1898 (Wikipedia)

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23 janvier : Pourquoi, au lieu d’une bataille perdue dans les murs, suivie d’un mois d’inaction, n’a-t-il pas fait, chaque semaine, de petites sorties simultanées aux 4 points cardinaux ?

Sa dépêche du 20 relative, à l’armistice du 2 juin était déplorablement alarmante.

Aujourd’hui nous ne pouvons plus espérer qu’en Bourbaki s’il a le temps d’arriver avant que les vivres ne nous manquent, ce qui sera difficile. Pourquoi Trochu le pédant a-t-il tant tardé à reconnaître son insuffisance.

Le bombardement a redoublé depuis hier, les Prussiens comptant, sans doute, sur leurs amis les rouges.

24 janvier : Vu M. de Chabrin qui me montre les 3 lettres à M. J.Favre. Dans la 3ème il lui parle de Vinoy qu’il se flatte d’avoir fait revenir. Il déclare le retour de l’Empereur impossible. Il savait que nous avons des vivres jusqu’à la mi-mars et espère plus que. jamais.

On est très irrité contre l’entêté Trochu.

Note dans la marge :

C’est le 23 janvier, lendemain de la nomination de Vinoy que Jules Favre a entamé les négociations à Versailles, sans Trochu ! Quel gredin que ce (illisible).

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25 janvier : Article alarmant des débats qui annonce la fin de nos vivres arrivée. Je vais au Ministère de la Guerre. Un chirurgien militaire, M. Rech de Colmar, fils du vétérinaire, dit que les officiers et généraux emballent déjà pour laisser en France leurs choses précieuses, comptant être envoyés prisonniers en Allemagne. Il dit que Jules Favre est à Versailles pour la capitulation, qu’on parle de 6 ou 7 milliards, de la cession de l’Algérie – tout cela m’indigne.

Même langage d’un petit employé de l’Intendance de la Garde Nationale chez Monsieur de Montclair.

Le même article alarmait de la....... Grimpés sur les boulevards... de la Bourse.

26 janvier : Continuation de mauvaises nouvelles. On parle d’une nouvelle défaite de Chanzy repoussé vers Rennes, d’une défaite de Faidherbe à St Quentin avec 9.000 prisonniers – De la retraite...

Notes dans la marge 25 janvier :

Il dit que le bombardement est arrêté pour cause.de négociations ce qui est faux. Il continue.

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....de Bourbaki après une tentative inutile sur Belfort.

Je rencontre le pharmacien Meyer Fetsch chez le professeur Schmidt. Nouvelles décourageantes. Il dit qu’à St-Denis (où il est) les soldats ont annoncé formellement qu’ils ne marcheront plus. Quelle honte pour l’armée !! Il évalue à 30.000 les malades des 150.000 hommes de mobile et de ligne.

Vu en passant les balles sur la façade de l’Hôtel de Ville. Bruits d’armistice très accrédités (Ravitaillement).

27 janvier : Aujourd’hui le gouvernement annonce l’armistice dans l’Officiel. Il n’y a plus de vivres que jusqu’à la fin du mois. Ce qu’on appelle l’armistice et qui n’est qu’une capitulation honorable n’est pas encore signé mais tout paraît convenu. Durée de 3 semaines avec...

En marge : 27 janvier, jour de désolation. Fin du siège. Reddition

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... faculté de prolongation ! Les Prussiens occupent les forts mais non la ville (du moins pendant l’armistice). La garde nationale conserve des armes dans Paris. Consternation générale... Nombre d’officiers de la garde nationale demandent la lutte à outrance. Cette brave et vaillante population parisienne qui a si noblement supporté toutes les privations et qui va manquer de pain, ne demande qu’une chose : le combat, ne regrette qu’une chose : la capitulation.

Ah ! Si les misérables chefs de la défense avaient été dignes de la population. Mais les imbéciles ont laissé croire qu’il y avait des vivres jusqu’en mai et n’ont rien fait pour nous débloquer !

Il était joli le plan de cet entêté de Trochu ! Ce misérable blagueur déclarait que avant la capitulation qu’il ne capitulerait pas. La République peut faire ses paquets. C’est le crime des Républicains. J.Favre, Grand, Pagès, Arago, Ferry qui nous a plongé entièrement dans l’abîme vers lequel Napoléon nous avait conduits.

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Quels vaniteux imbéciles que ces hommes d’élite de la République ! Ils ont tué moralement leur parti. Pourquoi les misérables n'ont-ils pas brusqué les élections d’une assemblée après le 4 septembre ? Pourquoi lors des pourparlers de Thiers et de Bismarck à Versailles au courant de novembre, n’ont-ils pas accepté l’armistice même sans ravitaillement qui aurait sauvé la France guidée par une assemblée ? Parce que les vaniteux imbéciles ont manqué de confiance envers le pays comme Napoléon, craignant que les élections ne fussent pas .... républicains et voulant avoir l’honneur pour eux seuls de sauver le pays.

L’Assemblée élue alors eut été républicaine modérée. Aujourd’hui elle sera évidemment monarchique (Orléaniste ou légitimiste) la République ayant bêtement achevé de nous perdre, les chefs Gambetta et Favre ayant montré leur outrecuidante nullité politique.

Il paraît que les nouvelles des armées sont déplorables. Mais on ne nous les laisse ...

En marge : La combinaison d’une royauté a seule chance de ... conserver l’Alsace et la Lorraine, par suite de la crainte que la contagion républicaine doit inspirer au roi de Prusse.

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... connaitre qu'incomplètementr.

28 janvier : Je vais dans le quartier du Luxembourg. Un pilier du jardin vers l’Ouest a été coupé au milieu par un obus. Rencontré là un commandant en retraite très intelligent qui dit que l’armée a désormais besoin de ... officiers intelligents, ceux restés des rangs ne pouvant plus lutter avec les Prussiens. Il trouve l’honneur sauf par la capitulation et pense que l’ennemi n’entrera pas dans Paris.

Je remarque une grande brèche d’un obus dans le haut d’une maison du boulevard St Michel. Une marque de boulet sur le bas de la face sud du Panthéon, des brèches à l’ancienne Bibliothèque Ste Geneviève à l’Est.

Les clubs en plein vent continuent depuis 3 jours sur les boulevards et ... près de la rue Drouot.

L’irritation causée par la capitulation parait elle-même très grande. C’est aujourd’hui samedi 28 que l’armistice ou plutôt la capitulation a été signée.

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29 janvier (dimanche) : Je vois défiler tristement par la rue Trinchet, des marins conduisant des caisses d’officiers à la Marine. Cela me noue (?).

30 janvier : On voit toujours de longues files de soldats sans armes dans les rues. Décidément les armes ont été livrées aux Prussiens. Visite de Vallée.

31 janvier : Dégel. Vu Man...

1-2-3-4 février : Les rues sont obstruées de soldats et de mobiles désarmés dont beaucoup sont ivres. Quelle honteuse fin de la défense !

Il se confirme que l’armée de Chanzy est disloquée (50.000 hommes s’étant débandés et sauvés derrière la Mayenne !!) ; que Bourbaki, coupé et cerné, s’est brûlé la cervelle ; que 80.000 hommes de son armée se sont réfugiés en Suisse pour n’être pas pris par les Prussiens ! que le 24ème corps seul s’est échappé dans le Sud !!

Garibaldi, par contre, venait avec ses 50.000 hommes, de remporter une victoire.

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Quelle désolation ! Quels désastres !

Il ne nous reste donc plus qu’environ 80.000 ou 100.000 hommes sous Chanzy du côté Ouest, 30.000 sous Faidherbe (dans le Nord), 20.000 peut-être sous Briand en Normandie, 30.000 environ du 24ème corps et 30.000 peut-être sous Garibaldi, des francs-tireurs étant licenciés d'après l’armistice, comme tous les autres. Total 190.000 peut-être de troupes plus ou moins régulières contre 600.000 Allemands de troupes excellentes. La guerre n’est plus possible après l’armistice, quand même le Midi parviendrait à envoyer 50.000 hommes, ce qui est douteux.

5 février : On apprend l’absurde proclamation de Gambetta qui blâme la capitulation de Paris et qui prêche la continuation de la guerre ; un décret non moins absurde excluant les anciens députés officiels, sénateurs et préfets, rendu par Gambette, est cassé par le Gouvernement de Paris à la...

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... demande de Bismarck qui prêche omnipotent (?) la liberté électorale stipulée dans l’armistice, et qui fait craindre dans le cas contraire, l’entrée de l’armée prussienne dans Paris ; voilà donc la discorde, à côté de l’incapacité et de la défaite, dans notre beau gouvernement républicain ! Cela fera un bel effet aux yeux de la Province.

On parle du passage de l’armée prussienne à travers Paris après la conclusion de la paix, et de la défense à nous imposée d’entretenir plus de 150.000 hommes sous les drapeaux, pendant des exigences de Napoléon 1er après Iéna !

6 février : Je vais au Point du Jour voir les effets du bombardement ! Quel triste contraste aux redoutes d’Auteuil, entre leur activité d’il y a un mois et leur morne silence d’aujourd’hui !

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Il y a encore près de Passy une paire de pièces de campagne, un affût. Les pièces de marine ont été retirées. Tout cela, comme les fusils, est laissé aux Prussiens. Est-ce définitivement ? Les remparts de ce quartier ont peu souffert. Je ne vois point de dégâts aux maisons de Passy.

Le viaduc du Point du Jour n’a pas eu de piliers enlevés comme on l’avait dit. Sa face Ouest, surtout l’extrémité Sud, présente des trous d’obus, une 20aine dans le sud, 4 ou 5 dans le Nord. Quelques-uns de ces trous ou brèches sont énormes et ont traversé l’épaisse paroi. Le parapet présente une ou deux brèches. On voit beaucoup de trous d’obus sur le terrain en avant, quelques-uns de près d’un mètre de profondeur.

Un pavillon tricolore, disposé à la hollandaise, flotte au fort d’Issy. Point de couleurs prussiennes.

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Point de factionnaires ennemis en vue. On dit qu’il n’y a point de dégâts à Billancourt, par contre beaucoup à Vaugirard.

D’après les relevés, il y a eu dans la population civile de Paris 383 personnes frappées pendant le bombardement du 5 au 26 janvier à minuit, soit 3 semaines juste.

Sur ces 383 personnes, 107 tuées sur le coup, dont 31 enfants, 23 femmes et 53 hommes. Une partie des 276 blessés comprenant 36 enfants, 92 femmes et 148 hommes, a succombé à ses blessures.

D’après les renseignements recueillis jusqu’ici, mais encore incomplets, la garde nationale, dans la bataille du 19 janvier, a eu 283 tués, 1182 blessés, 165 disparus, 1630 au total. Et ces messieurs du 9ème chasseur accusent les bataillons de marche d’avoir reculé et d’être cause de la défaite !

On parle d’une médaille par souscription ou d’un monument pour la Marine qui ...

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... a été admirable celle-là ! L’amiral La Roncière déclare qu’on n’acceptera qu’à condition que l’armée participe.

8 février : Aujourd’hui les élections ! Nous sauveront-elles ? Gambetta, le misérable, a donné sa démission. On dit que c’est lui qui a empêché Chanzy et Bourbaki, au commencement de janvier, de marcher au-devant de Paris.

Le ravitaillement s’effectue depuis quelques jours avec activité.

Le pain reprend une teinte plus claire. La liberté est rendue au commerce des farines et de boucherie.

Voilà 6 à 8 semaines que nous mangeons du pain bis. Ce n’est que depuis la capitulation que l’on s’aperçoit que ce mélange de farine, d’avoine, de riz, de haricots et de lentilles est détestable et malsain, et que le cheval ne vaut pas le roastbeef. Le blocus entamait le moral et le physique.

Aujourd’hui je vais faire visite aux avant-postes prussiens à l’extrémité de Vaugirard. Il y a là une ...

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... dizaine de soldats de ligne en tuniques bleues et bonnets bleus ronds et sans visières, comme ceux de nos matelots.

Je cause avec l’un d’eux. Il me dit qu’ils sont pressés. Je lui demande s’ils ont souffert du froid. Il me dit que non. Ces jeunes gars sont grands, forts et imberbes. Il y a 2 ou 3 sous-officiers à figures souriantes et un peu narquoises, et un jeune officier auquel je ne parle pas.

Vaugirard me paraît avoir mieux souffert qu’on me l'a dit. Une maison de la grande rue présente des marques d’obus ainsi qu’une espèce de grange près de la barricade. Les remparts sont intacts.

Du 9 au 15 février : Temps doux - Arrivée de vivres. Le pain blanc et le bœuf reparaissent. Toujours encombrement de troupes désarmées dans les rues.

15 février : J’apprends le nomination de Fritz Titot comme député du Haut-Rhin. J’assiste à la réunion d’environ 1.500 ...

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... Alsaciens et Lorrains à l’Alcazar. Beaucoup de bruit et de désordre. Quel triste contraste avec ce que serait un meeting anglais en pareille circonstance ! Toujours l’indiscipline française ! Puis la jalousie. Les Lorrains se plaignent de ce qu’ils ne sont que 2 au Comité contre 8 ou 10 Alsaciens ; On lit la déclaration en 4 articles à envoyer à l’Assemblée. Elle proteste contre la réparation qu’on ne reconnaîtra jamais. L’article 4 qui prévoit le cas de l’adhésion forcée de l’Assemblée à la réparation est rejeté. On parle d’introduire le mot de République une et indivisible dans la déclaration. A ces mots et au milieu du tohu-bohu, du désarroi croissant, je me retire. Sans signer à cause de cette affirmation républicaine intempestive. Il paraît cependant qu’elle n’a pas été admise.

26 février (dimanche) : Le bruit se répand que les préliminaires de paix sont signés. 5 milliards. L’Alsace, Metz à la Prusse, Belfort nous restant. Entrée d’un corps ennemi dans un quartier de Paris.

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On dit que les Prussiens entreront demain matin lundi. Groupe sur les boulevards.

27 février : Des affiches annoncent les préliminaires indiqués hier soir. 30.000 Prussiens doivent occuper, mercredi,1er mars à 10 heures du matin, le quartier des Champs-Elysées depuis le faubourg St-Honoré jusqu’à la Seine et depuis les fortifications jusqu’à la place de la Concorde, murs des Tuileries.

Agitation populaire. Des détachements de gardes nationaux, de mobiles et même de soldats sans armes et sous-officiers parcourent les boulevards avec des clairons.

Je vois 3 escadrons de chasseurs passer sur le boulevard Malesherbes que des gardes nationaux avec deux canons descendent.

Groupe permanent sur la place de la Concorde. Des hommes sages prêchent le calme et la résignation.

Hier il y a eu des scènes ignobles ...

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....à la Bastille. On a jeté à l’eau, garrotté sur une planche, un gardien de la paix.

28 février : Paris paraît plus calme. Mais des groupes. Pas de promenades militaires. Place de la Concorde je remarque qu’on a voilé d’un crêpe la face aux statues de nos villes frontières.

J’ai passé devant l’Ambulance Américaine situé sur un côté de l’avenue Uhrich qui a l’air désolée. Quel changement en 9 mois !

Cette ambulance se compose de tentes disposées en 3 rangées principales. La tenture du fond ferme l’angle avec les 2 tentures longues de côté. A l’entrée il a 2 ou 3 tentes isolées pour les officiers.

1er mars 1871 : Journée de deuil national éternelle !

Aujourd’hui à 16 heures les Prussiens et Bavarois (IIème corps) sont entrés dans le quartier des Champs-Elysées. Le temps est magnifique. Le ciel lui-même est contre nous.

Je remarque avec plaisir sur le boulevard, que tous les magasins et cafés sont fermés. Les journaux ont cessé de paraître pendant l’occupation.

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Avec peine je trouve ma tasse de café au café du coin de la rue Drouot et Lafayette entr’ouvert. Quelques misérables méridionaux et parisiens (dont 2 en uniforme) avec 2 coquins, y rient aux éclats et y plaisantent. Quelle honte en pareil jour ! J’aimerais mieux des Prussiens que ces ignobles Marseillais sans cœur !

Je vais voir Vallée qui me communique des lettres. Il a failli recevoir des coups de fusil à la place Wagram avant-hier en gardant les canons avec ses chasseurs. Il y a vu Triscat.

Je descends les quais de la rive gauche pour m’assurer du nombre des curieux français sur l’autre quai. Ce nombre est malheureusement beaucoup trop grand et contraste avec le deuil respectable de la Cité. Près de la Chambre des Députés, j’aperçois avec mon lorgnon des casques bavarois (à chenille) sur l’autre rive, et notamment un officier à cheval.

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On voit aussi des factionnaires ennemis sur la place de la Concorde qui n’est pas occupée en grand. La limite est la terrasse des Tuileries. Des chasseurs à cheval et des gendarmes français en patrouilles parcourent les quais de la rive gauche et les quartiers de la rive droite non occupés.

Les Tuileries et le Louvre sont fermés. Je vais en omnibus vers la Madeleine. Je vois et j’apprends avec plaisir que le faubourg St Honoré n’est pas occupé comme on l’avait dit. Des charrois d’artillerie barrent l’extrémité de la rue Royale et St Florentin vers la place de la Concorde où l’on voit briller quelques baïonnettes ennemies.

Le soir, on dit dans un groupe sur le boulevard que des cocottes qui ont été batifoler avec les Prussiens ont été fouettées par les gardes nationaux.

C’est bien fait. Il paraît que Versailles et St Denis sont pleins de ces salopes sans cœur et sans patrie.

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Manuscrit retranscrit par Marie-Claude Isner - Mise en page Guy Frank

A suivre...


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