WINTZENHEIM . LOGELBACH

L'étoile blanche - Mémoires d'une Juste


Mémoires de Madeleine Fauconneau du Fresne (1940-1945)

L'Étoile blanche « Ami des juifs » a été imposée par les Nazis à certaines personnes ayant pris ostensiblement le parti des Juifs pendant la guerre. C'est l'histoire de Madeleine. Résistante, elle sauva de la déportation l'avocate féministe Yvonne Netter puis fut internée au camp de transit de Beaune-la-Rolande où l'on triait les déportés avant les camps de la mort. Ses mémoires inédites, faites de rencontres, éclairent une période terrible de l'histoire de France. Un document poignant. Née en 1893 dans un milieu aristocratique et bourgeois, Madeleine Fauconneau du Fresne résiste pendant la 2nde guerre mondiale. D'abord intellectuellement puis, très vite, activement. Elle rencontre Yvonne Netter, avocate de talent et féministe, qui devient son amie. Celle-ci est arrêtée en juillet 1942 et se retrouve internée au camp de Pithiviers puis fait un séjour à l'hôpital. Madeleine organise alors son évasion. Mais elle tombe à son tour. Elle est internée au camp de Beaune-la-Rolande, camp de transit où étaient essentiellement détenus des juifs, et doit porter une étoile blanche « Amie des juifs ». Elle participe à la vie du camp, se lie d'amitié avec des personnages qui disparaitront. Notamment des enfants. Lors d'un interrogatoire elle réussit à compromettre son accusateur et retrouve, quelques temps après, une liberté surveillée. Elle s'échappe et rejoint Yvonne dans les Pyrénées. Les deux femmes remontent à Toulouse puis se cachent à Paris où elles vivent la libération de la ville. En 1947 Madeleine écrit son histoire. Elle meurt en 1976. Bien après sa mort, son petit neveu, Emmanuel Rougier, trouve par hasard son livre. Conscient de l'importance de ces mémoires pour l'Histoire, il entreprend sa retranscription, le commente et décide de le publier. Un récit haletant, précis et détaillé, fait de rencontres et de rebondissements, où se mêlent la détresse et l'espoir. Madeleine Fauconneau du Fresne a été reconnue Juste parmi les Nations en août 2018.

Auteur : Madeleine Fauconneau du Fresne (1893-1976), arrière petite-fille d'Antoine Herzog du Logelbach
Commentaires : Emmanuel Rougier, DRH du Secours Catholique et co-fondateur de la base de données généalogique Roglo.

264 pages, paru chez EDISENS le 9 décembre 2020, 19 €

Vidéo de présentation du livre

Ce récit avait été publié en 1947, sous le titre De l'enfer des hommes à la cité de Dieu chez l’éditeur SPES. Dans cette nouvelle édition, on bénéficie d’une présentation et de notes d’Emmanuel Rougier. Le titre est devenu L'étoile blanche ; le port de cette dernière était imposé par les nazis pour signaler que la personne était "Amie des juifs".


Extrait

Chapitre XXI

L’étoile blanche

Comme à Pithiviers, les baraques se serraient le long des allées rectilignes derrière un triple réseau de fils de fer barbelé. Les miradors et projecteurs s’élevaient tous les cent mètres autour de l’enceinte. Mais à Beaune-la-Rolande, le camp s’étendait au milieu d’une verte campagne, et l’on avait pour horizon, des champs que des pousses d’un vert tout neuf commençaient à parer.

Il fallut se rendre à la fouille; sinistre et malpropre opération.
Le lieutenant du camp m’interrogea. Il était insolent et plein de morgue. Je ne me souviens plus de cet ultime interrogatoire, mais je sais que plusieurs de mes réponses le firent se cabrer. Il était habitué à des prisonniers plus dociles.
On m’apporta une décoration : une étoile blanche, symbole de mon infamie, sur laquelle s’étalait en lettres énormes l’inscription vengeresse : «Amie des Juifs».
Je dis que c’était une bonne idée et que je trouvais ça très drôle. Le lieutenant répondit : «Vous devriez plutôt être honteuse.». Non, je n’étais pas honteuse et je le regrettais pour lui..
L’étoile blanche fut cousue solidement sur mon coeur et le lieutenant me dit :
«Malheur à vous si vous l’enlevez !
– Et pourquoi voulez-vous que je l’enlève ? J’en coudrais bien volontiers plutôt sur mon chapeau, sur mon dos et même sur ma chemise !»
Il ignora délibérément cette insolence.
«Allez retrouver vos amis juifs, me dit-il d’un air dégoûté.
– Ils seront certainement pour moi d’une compagnie plus agréable que des aryens à la solde d’Hitler !»

En quittant ce malotru, j’allai dire adieu au gendarme qui m’avait accompagnée. Il me dit :
«Je suis un gars de l’Est. Dans l’Est, on sait ce que c’est que d’être envahi. Quand ils seront vaincus, j’irai occuper l’Allemagne, et je vous jure, je vous vengerai.
– Eh bien ! Vous avez bien compris, vous ! dis-je en riant. Ce n’est pas la vengeance que, tout à l’heure dans le train, je vous prêchais !
– Je ne vous oublierai jamais, me dit-il sérieusement, je vous reconnaîtrais au bout de cent ans... Moi, j’ai la mémoire des visages !»
Et si je raconte cette chose touchante, c’est parce que le gendarme devait tenir parole. Quand les déportés revinrent plus tard en France, je retrouvai une de mes soeurs de misère. Ce même gendarme était préposé aux opérations de reclassement à la frontière. Il reconnut ma camarade et il lui demanda : «Pouvez-vous me dire ce qu’est devenue Mlle du Fresne ? Je voudrais tant avoir son adresse et la revoir.» Malheureusement, elle ne l’avait pas.

J’entrai dans l’enceinte des prisonniers où la vue de mon étoile blanche détermina immédiatement un attroupement... Quelle était la bête aryenne qui, par ce temps de calamité et de malédiction, arborait cette confession de foi inouïe et qui était «amie des Juifs» à l’heure où l’axe victorieux les vomissait de la planète ? Une folle ? Une illuminée ? Une journaliste camouflée et en mal de reportage ? Une amie ? Non. C’était par trop incroyable ! «Mais si. Une amie, tout simplement» leur affirmai-je.
Un vieux Juif russe, drapé dans une houppelande sale, s’approcha et me baisa respectueusement les mains. Mais déjà les femmes m’entouraient pour me faire les honneurs de mon nouveau gîte à la baraque 13.
J’entrai et je réprimai un sursaut d’horreur. Cent vingt femmes gisaient là, côte à côte sur des planches recouvertes de paille, et dans une promiscuité horrible. Des loques sales pendaient à des clous. Une forte odeur d’étable exhalait ses relents... Des rires aigus, des disputes, des lamentations, des cris. Dans un coin une voix chantait:
«Je suis seule ce soir avec mes rêves... Je suis seule ce soir et sans espoir...»
On me conduisit au chef de baraque. C’était une jeune polonaise entourée de ses deux enfants. Elle m’attribua une place près d’une vieille demoiselle de soixante-dix ans qui avait très grande allure sous ses cheveux blancs. De l’autre côté, une Juive était couchée et pleurait...
«Ta gueule !», lui disait sa compagne. «T’as pas fini d’chialer ! Tu m’fous le cafard !»
La pleureuse répondit par le mot de Cambronne et reprit ses lamentations.

On me donna un peu d’eau chaude qu’on courut chercher aux cuisines ; un coiffeur bénévole me coupa les cheveux... Je repris figure humaine et sortis pour inspecter la cité des Étoiles jaunes et me faire une idée de ma situation nouvelle.
Entre les baraques, dans un espace étroit, des groupes circulaient inlassablement. Des petits enfants jouaient à la Gestapo et à la déportation. Il y en avait de tous les âges. Une vieille femme faisait une ronde avec des tout-petits. Ils se serraient ensuite contre elle et elle les embrassait.
Tout au fond du camp, j’aperçus une enfilade de cabines.
«Le château, me dit-on.
– Le château ?
– Oui, les WC enfin.»
Je visitai ce musée des horreurs. À même le sol, une planche, un trou, et tout autour une marmelade puante où les pieds s’engluaient. Une main anonyme avait écrit sur le mur: «Ch** dur, ch** mou, mais ch** dans le trou !» C’était délicieusement existentiel !
Au retour de ce pèlerinage, je vis venir à moi un homme d’aspect timide qui se présenta :
«Je suis un teinturier de Chatou. On m’a dit que vous étiez catholique. Moi je suis membre du Tiers-Ordre de Saint-François*. J’aurais tant de plaisir à causer avec vous.» Le soir même nous priâmes ensemble. Le noyau de la première équipe était constitué.

Un coup de sifflet impératif retentit soudain dans le camp, et tout le monde se mit à courir. C’était l’appel : attente interminable, piétinements, fatigue infinie...
Après l’appel, chacun réintégra sa baraque, et je vis arriver deux hommes porteurs d’un immense baquet où quelques morceaux de rutabaga flottaient dans l’eau grasse. «À la soupe, mesdames», cria le chef de baraque. Et les femmes se précipitèrent avidement. «Une louche d’abord ! Pas de passe-droits.» Puis un second appel retentit. «Au rab, mesdames !» Et ce fut de nouveau la cohue comme un soir de bousculade dans le métro.
J’entendais geindre mes voisines : «C’est dégueulasse ! J’ai eu que du ju ! J’ai faim... J’en peux plus ! Quand est-ce que ça finira cette sacrée saleté de vie ! Aïe, aïe, aïe !»
Je n’avais pas eu de soupe car je manquais de récipient. Deux mille Juifs étaient arrivés la veille au camp et tout le matériel disponible avait été utilisé.
Le chef de baraque s’émut : «Taisez-vous un peu là-dedans ! Allons mesdames, qui aurait une gamelle pour l’amie des Juifs. Il faut que l’amie des Juifs mange !»
Personne n’avait de gamelle. À la fin cependant une petite vieille bien soignée s’approcha en trottinant avec une misérable boîte à conserves. «C’est la boîte dans laquelle je faisais mes besoins... Je m’excuse... Mais peut-être qu’en la nettoyant...»

Et sans trop de dégoût, je dégustai dans la boîte à besoins de la charitable vieille mon premier brouet.

* Le Tiers-Ordre de Saint-François est une association pieuse laïque fondée en 1222 dans la ville de Bologne par saint François d’Assise à la demande de personnes mariées voulant vivre à l’exemple des frères franciscains sans entrer dans un ordre religieux.


Yvonne Netter

(photo : Parisienne de Photographie)

Yvonne Netter, née le 8 avril 1889 et morte le 30 août 1985, est une avocate, féministe et résistante française

Origines et vie familiale

Issue d'un milieu bourgeois, Yvonne Netter est la fille de l'industriel alsacien Mathieu Netter et de Blanche Isaac. Elle perd sa mère à l'âge de 14 ans. Titulaire d'un brevet supérieur, elle effectue ensuite des études secondaires pour jeunes filles à la Sorbonne. Elle se marie en 1911 avec Pierre Isaac Gompel et elle donne naissance à un fils l'année suivante. De santé fragile, son mari est démobilisé dans les premières années de la Première Guerre mondiale. De 1915 à 1917, elle est infirmière major à l'hôpital militaire complémentaire de Meaux. En 1917, son mari quitte le foyer, et le couple divorce en 1918.

Études et carrière d'avocate

Avec le soutien de son père, elle reprend alors ses études et obtient un baccalauréat. Elle se destine initialement à l'enseignement, mais elle a un enfant à charge et elle choisit donc le droit par raison. Comme elle avait été infirmière pendant la guerre, elle obtient sa licence en deux ans puis devient avocate en 1920. Sa thèse porte sur le travail de la femme mariée. Elle fait partie de la première génération de femmes avocates, la profession leur étant ouverte seulement depuis 1900. Elle s'inscrit au barreau de Paris la même année qu'Andrée Lehmann et que Marcelle Kraemer-Bach.

Sa clientèle compte de nombreuses femmes et quelques personnalités. En 1924, elle assiste ainsi Jean Ernest-Charles pour défendre l'écrivain Victor Margueritte, accusé de plagiat3.

Comme quelques-unes des rares femmes avocates de l'époque, elle publie un manuel sur le droit concernant les femmes et destiné au grand public. Intitulé Le Code de la femme, il est relayé par la presse féminine et féministe.

Engagements féministe et sioniste

Féministe, Yvonne Netter milite en faveur du droit de vote des femmes. Elle s'engage à la Ligue française pour le droit des femmes (LFDF) et à la Société pour l’amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits (SASFRD), qu'elle préside entre 1932 et 1934. Elle est aussi membre de plusieurs associations féminines (Union des femmes de carrières libérales et commerciales, Soroptimist et Association française des femmes diplômées des universités). En 1933, elle crée le Foyer-Guide féminin.

Soutien du mouvement sioniste, elle adhère à plusieurs associations féminines juives. En 1923, avec Suzanne Zadoc-Kahn, elle fonde et préside l'Union des femmes juives pour la Palestine, section française et féminine de l'Organisation sioniste mondiale. Entre la fin de la décennie et 1939, elle donne des conférences en faveur du sionisme dans de nombreux pays (France, Égypte, Tunisie, Maroc, Belgique, Suisse, Luxembourg et Palestine) et y fait part de son enthousiasme pour les kibboutz.

Guerre et après-guerre

Plaque commémorative 3 quai aux Fleurs (Paris).

Au début de la Seconde Guerre mondiale, en décembre 1940, elle se convertit au catholicisme sous l'influence de Madeleine Fauconneau du Fresne, une militante du Réarmement moral. Cette dernière avait engagé Yvonne Netter comme avocate, à la suite d'un conflit avec un voisin, et de cette rencontre est née une amitié.

Yvonne Netter est interdite d'exercer son métier d'avocate en 1941 du fait des lois sur le statut des Juifs. De novembre 1940 à juin 1942, elle fait partie d'un réseau de Résistance, s'y investissant comme « boîte aux lettres » et linotypiste depuis son domicile. Elle est arrêtée le 4 juillet 1942 par des policiers français et un membre de la Gestapo.

Internée à la caserne des Tourelles (Paris), au camp de Drancy à partir du 13 août puis à celui de Pithiviers à partir du 1er septembre, elle s'évade de ce dernier en février 1943, grâce à l'aide de Madeleine Fauconneau du Fresne et Line Piguet. Elle est cachée chez le maraîcher Henri Tessier puis chez Josèphe-Marie Massé à Gentilly. Pour avoir secouru Yvonne Netter, Madeleine Fauconneau du Fresne est internée plusieurs mois au camp de Beaune-la-Rolande, portant une étoile de David sur laquelle est inscrit « Amie des Juifs ». Cette dernière est finalement libérée le 11 juin 1943 pour insuffisance de preuves. Retrouvant Yvonne Netter, elle part avec elle chez des amis à Capvern (Hautes-Pyrénées), dans la zone sud. À Toulouse, Yvonne Netter retrouve son frère Léo, son épouse et leurs deux enfants ; jusque fin 1943, elle vit avec Madeleine à leur domicile. Léo Netter est néanmoins arrêté et déporté avec sa femme et leurs enfants dans un train qui quitte Toulouse le 30 juillet 1940. Léo et ses enfants reviendront des camps d'extermination mais son épouse Annette y est assassinée. Yvonne Netter part alors chez des amis de Madeleine en Vendée puis revient à Paris où elle retrouve Madeleine ; les deux amies y vivent cachées jusqu'à la Libération. Entre juillet et décembre 1943 puis entre juin et août 1944, Yvonne Netter est agent de liaison du réseau de résistance Comète.

À la Libération, elle reprend sa profession d'avocate ; en 1950, elle est avocate de la psychanalyste Margaret Clark-Williams accusée d'exercice illégal de la médecine. Elle restera très amie avec Madeleine Fauconneau du Fresne jusqu'à sa mort en 1985. En 2018, cette dernière reçoit de Yad Vashem le titre de Juste parmi les nations pour la protection qu'elle a apportée à Yvonne Netter1.

Elle meurt le 30 août 1985 et est inhumée au cimetière du Montparnasse.

Plaque 3 quai aux Fleurs (Paris).

Une plaque rend lui hommage au 3 quai aux Fleurs (4e arrondissement de Paris), où elle vécut de 1911 à sa mort en 1985.

Source :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Yvonne_Netter


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