WINTZENHEIM . LOGELBACH

Les enfants à l'usine...


Les enfants à l'usine...

Le règlement de travail des usines Haussmann, publié récemment [voir plus bas], nous avait introduit dans l'univers quotidien de l'usine au début du XIXe siècle. Une usine souvent citée comme exemplaire et à juste titre tant sur le plan économique que social... aux normes du XIXe siècle bien entendu. Les conditions de travail étaient rudes pour l'ouvrier et l'ouvrière d'usine. Il l'était aussi pour les enfants, particulièrement nombreux, notamment dans l'industrie textile.

Logelbach

La filature Herzog de Logelbach employait 233 enfants en juin 1842 (reproduction Patrick Flesch)

En octobre 1843, 377 enfants de moins de seize ans travaillent dans les fabriques, filatures et tissages du canton de Colmar. 39 ont moins de douze ans. Les 338 autres, 231 garçons et 107 filles se situent entre douze et quinze ans. Ils étaient 239 dont 25 de dix à douze ans à la Manufacture Herzog du Logelbach en février 1843. Quant à la Filature de coton Haussmann, le nombre des huit-douze ans était de 32, celui des douze-seize de 117. Ainsi donc on commençait à travailler à l'âge de huit ans, garçons comme filles, les garçons un peu plus nombreux que les filles. Et l'on venait parfois de loin et à pied. La Filature de coton Herzog au Logelbach emploie 233 enfants en juin 1842. Ceux venant d'Ingersheim (77) et de Wintzenheim (76) sont les plus nombreux. Mais on vient aussi de Wettolsheim (33) et de Turckheim (31), de Colmar (11), d'Eguisheim (3) et de Niedermorschwihr (2)...

Dès l'âge de huit ans...

Toutes ces précisions statistiques, conservées aux archives de la ville, sont les conséquences de la promulgation de la loi du 22 mars 1841 sur le travail des enfants dans les manufactures. L'examen de ce texte, envoyé dans toutes les communes est intéressant à plus d'un titre. Il est comme tout texte législatif et réglementaire, à travers ce qu'il encadre ou ce qu'il corrige, révélateur d'une situation. Il n'est bien entendu pas le seul et unique moyen de cerner la réalité du travail des enfants. Riche de 13 articles, cette loi fait date. Nous en publions les articles 2 à 5 :

Art. 2 : les enfants devront pour être admis (dans les manufactures et fabriques occupant plus de vingt ouvriers dans les ateliers) avoir au moins huit ans. De huit à douze ans, ils ne pourront être employés au travail effectif plus de huit heures sur vingt quatre, divisées par des repos. De douze à seize ans, ils ne pourront être employés au travail effectif plus de douze heures sur vingt-quatre divisées par des repos. Ce travail ne pourra avoir lieu que de cinq heures du matin à neuf heures du soir. L'âge des enfants sera constaté par un certificat délivré, sur papier non timbré et sans frais, par l'officier de l'état civil.
Art. 3 : tout travail, entre neuf heures du soir et cinq heures du matin, est considéré comme travail de nuit. Tout travail de nuit est interdit pour les enfants au-dessous de treize ans. Si la conséquence du chômage d'un moteur hydraulique ou des réparations urgentes l'exigent, les enfants au-dessus de treize ans pourront travailler la nuit, en comptant deux heures pour trois, entre neuf heures du soir et cinq heures du matin. Un travail de nuit des enfants ayant plus de treize ans, pareillement supputé, sera toléré, s'il est reconnu indispensable, dans les établissements à feu continu dont la marche ne peut pas être suspendue pendant les cours de vingt-quatre heures.
Art. 4 : les enfants au-dessous de seize ans ne pourront être employés les dimanches et jours de fête reconnus par la loi.
Art. 5: nul enfant âgé de moins de douze ans ne pourra être admis qu'autant que ses parents ou tuteur justifieront qu'il fréquente actuellement une des écoles publiques ou privées existant dans la localité. Tout enfant admis devra, jusqu'à l'âge de douze ans, suivre une école. Les enfants âgés de plus de douze ans seront dispensés de suivre une école, lorsqu'un certificat, donné par le maire de leur résidence, attestera qu'il ont reçu l'instruction primaire élémentaire.

La loi parfaitement appliquée

L'application de la loi ne se fit pas tout seul. Il fallut quelques deux ans pour mettre l'ensemble du dispositif en place. Une commission d'inspection spécialement chargée de surveiller et d'assurer l'accomplissement des conditions établies par la loi fut installée le 9 mars 1842. Le maire Chappuis et Jean Kiener, ancien président du tribunal de commerce, puis le docteur Faudel en furent les premiers responsables. Leurs rapports, réguliers à partir de 1843, sont transmis au préfet qui coordonne sur l'ensemble du département l'application de la loi. Tous les rapports, tout au long de la décennie, reconnaissant que la loi est parfaitement appliquée dans les établissements du canton de Colmar et de Wintzenheim. Voici un extrait du rapport du 28 février 1843 : « Nous ne pouvons que vous confirmer les bons témoignages que renferment le rapport précité (celui du 21 février 1843) sur l'exécution de la loi du 22 mars 1841. Ses dispositions sont partout religieusement observées grâce à l'esprit excellent qui anime les chefs des établissements dont la surveillance nous est confiée. Tous rivalisent de zèle pour faire jouir les enfants qu'ils emploient des bienfaits de la loi de 1841 et nous rendre ainsi notre mission plus facile. Dans notre précédent rapport nous vous signalions particulièrement les deux maisons Herzog et Haussmann, Jordan, Hirn et Cie pour la bonne organisation de leurs écoles et les heureux résultats que déjà elles avaient obtenus. Depuis, il y a eu un progrès sous ce rapport. Nous avons remarqué de plus que ces maisons apportaient un soin tout particulier à ne pas fatiguer les enfants par un travail trop long et trop continu et qu'elles avaient combiné les heures de classes et de travail de manière à rendre l'une et l'autre tâche moins pénibles aux enfants ».

Des patrons exemplaires

Notre regard contemporain porte en général un jugement sévère sur les conditions de travail existant alors. Le règlement de 1841 nous paraît d'un autre âge et pourtant il constitue un bond en avant absolument prodigieux dans l'esprit de l'époque. De même l'attitude du patronat ne doit pas nous surprendre. On le taxe facilement de paternalisme et il l'est indéniablement selon nos perceptions actuelles. Pourtant il faut signaler l'exemplarité du comportement des patrons alsaciens, et colmariens en particulier, pour le soin apporté aux conditions de travail de leurs ouvriers et ouvrières et notamment des enfants. Il contraste singulièrement avec celui de leurs confrères dans d'autres régions françaises. Leur attitude se nourrit aux sources de la religion et de l'humanisme y compris maçonnique. Cette foi et ces références philosophiques et culturelles ont imprégné des générations de patrons alsaciens et façonné l'identité de l'entreprise et de leurs employés. Le fait mérite d'être noté et rappelé. L'image du patron exploiteur et sans coeur chère à l'imagerie romantique n'est pas de mise en l'occurence. A l'inverse, les exemples cités n'occultent en rien la précarité d'une classe sociale qui connaît souvent le dénuement, la faim, la maladie et la misère. On se souvient que la majorité des prostituées colmariennes, un demi-siècle plus tard, sont des Fabrikmädchen, c'est-à-dire des ouvrières d'usine dont le salaire ne permet pas de vivre.

Sources : archives municipales de Colmar, série 6F3, travail des enfants, 1841-1853 / Gabriel Braeuner, DNA du samedi 14 décembre 1996

Nota : Emmanuel Rougier précise que Antoine Herzog père a lui même été ouvrier enfant chez Dolfus


Travailler autrefois à l'usine

L'ouvrage de Claude Keiflin sur l'été 1936 en Alsace (Editions de la Nuée Bleue) aborde, entre autres, les conditions souvent difficiles de la vie du monde ouvrier en Alsace, peu de temps avant la dernière guerre. Les références et témoignages colmariens y sont nombreux. Mais qu'en était-il, un siècle auparavant, à l'aube de l'industrialisation de notre région ? Voici le réglement de police de 1826 des ateliers de la grande filature Haussmann à Logelbach. Il nous renseigne, même indirectement, sur maints aspects de la vie à l'usine autrefois et à travers le regard du patron, nous révèle quelques traits de mentalités de l'époque.

LogelbachSortie de l'usine Herzog. A droite, Maria Guthmann (Photothèque SHW 746)

Art. 1.- Tout ouvrier entré dans l'établissement, qui, après un essai de 15 jours, ne quitte pas ou n'est pas congédié, se trouve, par le fait même, engagé à y travailler pendant une année, à dater du jour de son arrivée. Cet engagement se renouvelle de lui même, tous les ans à la même époque, si l'ouvrier ne vient annoncer au bureau, un mois avant l'expiration de l'année, l'intention de quitter l'établissement. Ledit engagement n'ôte pas aux chefs la facuté de renvoyer l'ouvrier pour cause d'inconduite, ou pour tout autre motif, pendant le cours de l'année.
2.- Il n'y a suspension de travaux que le dimanche et les jours de fête autorisés par le gouvernement. Toute absence faite un autre jour, même sous prétexte d'une indisposition qui ne serait pas prouvée, sera punie d'une amende du double de la valeur du travail qu'on aurait fait pendant le temps d'absence.
3.- Une cloche annoncera, le matin, aux ouvriers, l'ouverture de l'établissement, en sonnant une demi-heure avant le commencement du travail. Elle sonnera ensuite, pour la seconde fois, une demi heure après. A compter de ce moment, la grille de la cour restera encore ouverte un quart-d'heure, après lequel elle sera fermée. Dès ce moment, tous les ouvriers devront déjà être rendus à leur travail. Ceux qui se présenteraient plus tard ne seront plus admis, et, dans ce cas, ils subiront l'amende qui est mentionnée pour le cas d'absence dans l'article précédent.
4.- La cloche donnera un signal dix minutes avant la sortie des ateliers ; pendant ce temps aucun ouvrier ne pourra quitter la place. Il sera, au contraire, tenu de la nettoyer, ainsi que son métier, et il veillera à ce que tout soit en bon ordre, sous peine d'une amende qui ne pourra être moindre qu'un tiers de journée. Dix minutes après le premier signal, la cloche annoncera la sortie des ateliers.
5.- Pendant l'heure du repas les ateliers seront fermés, et aucun ouvrier ne pourra y rester, à moins qu'il n'y soit autorisé.
6.- Il est défendu au portier de ne laisser sortir aucun ouvrier de l'établissement pendant les heures de travail, à moins qu'il ne soit porteur d'un permis délivré par les chefs ou les contremaîtres de salles.
7.- Lorsqu'un ouvrier sera demandé par quelqu'un, le portier devra l'appeler, et faire attendre à la porte la personne qui voudra lui parler. Mais il est expressément défendu de faire entrer, sans permission et sous quelque prétexte que ce soit, des personnes non employées dans l'établissement. Les contrevenants encourront une amende de huit jours de travail.
8.- Aucun ouvrier ne pourra toucher à un métier dérangé, même pour y faire le plus léger raccommodage. Il devra appeler, à cet effet, le contremaître ; faute de quoi, il sera puni d'une amende de deux journées de travail, en payant, en outre le dommage s'il y a lieu.
9.- Tous les ouvriers ou employés sans exception, qui travaillent dans les ateliers de l'exploitation, sont responsables des outils et objets qui leurs sont confiés. Ceux des dits objets qu'ils ne pourront représenter à toute réquisition, seront remplacés à leurs frais.
10.- L'ouvrier qui délivrera son travail mal fait, subira une amende proportionnée aux défauts de l'ouvrage.
11.- Il est défendu de fumer dans l'enceinte de la filature. Les contrevenants se mettraient dans le cas d'être renvoyés.
12.- Les ouvriers qui se présenteraient au travail dans l'état d'ivresse, seront mis à la porte, et subiront la déduction de paie fixée pour les absents.
13.- Il est défendu de faire ou de déposer aucune ordure dans la cour. Les lieux d'aisance doivent être tenus propres : celui qui sera convaincu de les avoir salis, paiera une amende de 50 centimes au profit de l'individu chargé de les nettoyer.
14.- Tout ouvrier qui touchera aux appareils de chauffage ou d'éclairage, ainsi qu'au moteur, sera puni d'une amende de la valeur d'une journée de travail, et il paiera, en outre le dommage qu'il pourrait avoir occasionné.
15.- Les lanternes des ouvriers seront éclairées avec des chandelles, et elles seront toutes allumées chez le portier, sous peine de l'amende d'une journée de travail.
16.- Les contremaîtres et le portier sont autorisés à visiter tous les ouvriers, à la sortie de la fabrique, chaque fois qu'ils le jugeront nécessaire : chacun devra s'y soumettre, tant dans l'intérêt des chefs que pour celui de souvriers honnêtes qu'on pourrait soupçonner à tort.
17.- Tout ouvrier qui serait surpris jetant du coton ou du déchet dans les latrines ou tout autre endroit de la filature, sera mis à une amende de deux journées de travail au profit de celui qui le dénoncera au comptoir.
18.- Il est ordonné aux ouvriers d'obéir dans tout ce qui pourra leur être commandé, touchant leur ouvrage et la police intérieure de la filature, par les personnes revêtues de l'autorité des chefs. Toute désobéissance sera punie selon la gravité du cas.
19.- En retour de la protection et des soins paternels que tous les employés de la filature peuvent attendre avec confiance de la part de leurs chefs, ils doivent par contre leur prouver attachement et fidélité, et ils leur doivent surtout l'aveu de tout ce qui pourrait parvenir à leur connaissance de contraire au bon ordre et à l'intérêt de l'établissement.
20.- Le présent règlement sera affiché dans tous les ateliers pour qu'il n'en soit prétexté cause d'ignorance. Si une des affiches venait à être bissée ou déchirée, l'atelier en entier paiera une amende de cinq francs, à moins qu'il ne désigne le coupable...
Au Logelbach, près Colmar, le 15 juillet 1826 : Haussmann Frères

Sources : Archives municipales de Colmar, série 6F1 / Gabriel Braeuner, DNA du samedi 30 novembre 1996


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