WINTZENHEIM.HISTOIRE

Antoine Herzog père et fils élus au Conseil général


LES ELECTIONS CANTONALES ET LES CONSEILLERS GENERAUX DANS LE CANTON DE WINTZENHEIM AU SIECLE DERNIER

par Olivier CONRAD, Dr es Lettres / Histoire

Olivier CONRAD né en 1969, est originaire d'Obersaasheim. Après son passage au lycée Bartholdi à Colmar, il entra à l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg où il s'engagea dans de brillantes études d'histoire qu'il a achevées en janvier 1997 avec l'obtention du titre de Docteur.
Parmi ses travaux il convient de citer :
- Le mémoire de maîtrise dont le sujet était : « La Chambre de Commerce de Strasbourg et la question du chemin de fer, des origines à 1870. » Ce travail, effectué en 1991, obtint une mention Très-Bien et fut primé en 1993 par l'Oberrheinischer Kulturpreis, prix du Professeur Dr. Friedrich Metz, décerné par la fondation Johann Wolfgang von Goethe de Bâle.
- La thèse de doctorat traitant de : « Notables et administration départementale. Le Conseil général du Haut-Rhin, de 1800 à 1870. ». Cette recherche effectuée de 1993 à 1996, lui permit d'obtenir la mention Très honorable et les félicitations du jury.
Par ailleurs, Olivier CONRAD collabore au Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne, à la Société d 'Histoire de la Hardt et du Ried et à celle du Sundgau.
Dans le but de rédiger sa thèse, Olivier CONRAD avait effectué de larges recherches, mais n'a pas utilisé l'ensemble des documents. Donc il a proposé de nous en faire bénéficier dans cet article s'intéressant aux élections cantonales et aux conseillers généraux dans le canton de Wintzenheim au siècle dernier de 1800 à 1870.

Grand merci pour sa collaboration.
Gérard Lincks, 1997


Les élections cantonales et les conseillers généraux

dans le canton de Wintzenheim au siècle dernier


1. Les débuts du Conseil général

Le Conseil général du département : l'affirmation progressive d'une collectivité territoriale

Au sortir des troubles et des incertitudes de la Révolution, le Consulat marque le départ d'une longue période de stabilité en matière d'organisation administrative du pays. La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), compromis entre des héritages révolutionnaires et les principes d'organisation de la monarchie absolutiste, dote le pays d'une nouvelle structure administrative, fonctionnant sur le principe de la centralisation.
L'édifice est dominé par le préfet, secondé par les sous-préfets dans les arrondissements. Ces fonctionnaires sont assistés de conseils consultatifs et représentatifs, le Conseil général du département et les conseils d'arrondissement.
L'assemblée départementale, qui nous intéresse ici, a pour fonction de représenter les intérêts du département, de répartir les contributions directes, de voter les recettes et des dépenses du département, prérogative à laquelle il allait s'identifier. L'émergence et l'affirmation du département dans la hiérarchie administrative découlent en effet de la définition et de l'extension de ses prérogatives financières, c'est-à-dire sa maîtrise des finances publiques départementales (mécanismes de financement, politiques de dépenses). Les autres finalités de ce conseil - redéfinir les rapports État/Société, ouvrir et démocratiser la machine administrative, tirer les moyens humains de l'administration de la société - ne se réalisent également que progressivement, du fait de la constante immixtion des préfets, de l'absence de publicité des débats et de la nomination des conseillers généraux. [1] Il faut sur ce dernier point attendre la Monarchie de Juillet et une loi du 22 juin 1833 pour que la désignation des conseillers généraux se fasse au scrutin.

Les conseillers généraux sont nommés par l'Administration (1800-1833)

Nous proposons d'analyser dans ce travail les élections cantonales, aspect méconnu de la vie politique locale, dans le canton de Wintzenheim, un canton agricole et viticole situé dans la périphérie du chef-lieu du département, un canton qui s'industrialise fortement au XIXème siècle.
Du Consulat au début de la Monarchie de Juillet, le Conseil général fonctionne avec des conseillers généraux nommés par les instances administratives centrales et locales, ce qui explique, entre autres aspects, la dépendance et l'effacement de cette assemblée. Les préfets, en proposant des candidats, doivent veiller à un équilibre de représentation entre les arrondissements, mais rien n'est prévu pour les cantons. Celui de Wintzenheim a été plutôt privilégié, puisqu'il a été représenté à Colmar par deux personnalités locales.
Dès 1800, au moment de la création de l'assemblée départementale, le baron François-Joseph de Schauenbourg (1742- 1815) [2] est nommé conseiller général du Haut-Rhin et élu président du conseil par ses pairs.
Représentant d'une des plus anciennes et illustres familles nobles d'Alsace, de Schauenbourg a été sous l'Ancien Régime officier, commandeur de l'Ordre de Malte, conseiller chevalier d'honneur près le Conseil souverain d'Alsace. Il joue un rôle important au début de la Révolution : successivement procureur général syndic pour la noblesse d'Alsace à l'Assemblée provinciale (1787-1788), président de l'assemblée des Bailliages de Huningue et de Belfort (1789), commissaire chargé d'installer le Conseil général du Haut-Rhin, procureur général du département du Bas-Rhin. Suspecté de sympathies pour les contre-révolutionnaires, il est inquiété et se retire sur ses terres à Herrlisheim, se consacrant notamment à une manufacture de draps fondée en 1780. Il faut attendre le Consulat pour le retrouver à des responsabilités : il est nommé maire de Herrlisheim et conseiller général en 1800. Royaliste rallié à l'Empire, il traverse sans heurts les troubles années 1813-1815, mais décède courant 1815.
Il faut attendre le début de la Monarchie de Juillet pour que la région de Wintzenheim soit de nouveau représentée au Conseil général. L'industriel Édouard-Valentin Jordan (1789-1866) [3] est nommé conseiller général en 1831.
Fils d'un banquier et industriel protestant originaire de Berlin, il est associé aux Haussmann du Logelbach. Davantage préoccupé par les questions industrielles, il démissionne en 1833, mais n'est pas remplacé, les conseillers généraux devant, aux termes de la loi du 22 juin 1833, être dorénavant élus.

Les modalités du suffrage censitaire

Chaque canton élit désormais son conseiller général. Les élections sont à caractère censitaire. Pour être électeur il faut payer un minimum de 200 francs de cens, ou à défaut, figurer parmi les plus imposés si le quorum de cinquante électeurs n'est pas atteint. 200 francs de cens sont également requis pour être éligible. Les élections se déroulent au chef-lieu du canton, sous la présidence du maire de la localité.

2. Les élections cantonales durant la Monarchie de Juillet

Les premières élections cantonales de l'histoire, 18 novembre 1833

Les résultats s'annoncent selon le préfet Bret, quoi qu'il advienne, favorables à l'administration. " Dès aujourd'hui, je puis vous donner une assurance, les choix seront généralement bons ", [4] mais les électeurs ne semblent guère s'y intéresser, en particulier dans le canton de Wintzenheim. La raison semble évidente selon le préfet. " La cause en est certainement dans les vendanges pendant lesquelles les familles sont isolées et occupées exclusivement d'une récolte importante pour ce pays. " [5] Le nombre d'électeurs dans le canton de Wintzenheim (quatre-vingt) est supérieur à la moyenne départementale (soixante-et-onze), mais conforme aux chiffres du riche arrondissement de Colmar.
Ainsi que le préfet le laissait entendre, la mobilisation des électeurs se fait difficilement. La participation n'est que de 61,2%, ce qui singularise ce canton, la moyenne dans le département étant de 84,6%. Les archives se rapportant à ce scrutin sont lacunaires, nous ne connaissons que les résultats, le nom de l'élu et les suffrages obtenus.
C'est Jean-Baptiste Scheuch (1796- 1860), [6] propriétaire cultivateur et viticulteur à Herrlisheim, maire de sa commune depuis 1831 qui est élu, au second tour et à la majorité relative, face à un candidat de l'opposition légitimiste.

Attitudes et comportements du conseiller général de Wintzenheim

Au Conseil général, Scheuch, qui y retrouve deux beau-frères, le notaire Prudhomme (conseiller général d'Andolsheim) et le médecin Onimus (conseiller général d'Habsheim), siège avec la majorité, celle qui défend les intérêts agricoles face aux nombreux et puissants industriels. Scheuch est un grand animateur de la vie agricole locale. Membre des comices agricoles du canton de Wintzenheim, membre permanent de la Société départementale d'agriculture, il organise la représentation des intérêts de la viticulture. C'est l'un des fondateurs de la Société des viticulteurs du Haut-Rhin à Colmar en 1842. La presse a souligné son rôle : " Témoin des souffrances de notre vignoble dont il représente un des principaux cantons, tous ses efforts, au conseil comme au dehors tendent à apporter quelques soulagements à cette partie importante de notre population agricole. " [7] A son élection, la préfecture classe le conseiller général de Wintzenheim parmi les constitutionnels, c'est-à-dire ceux soutenant le gouvernement. Mais les premières sessions la conduisent à modifier son jugement initial. Scheuch est présenté en 1839 comme un homme de l'opposition dynastique de gauche, un homme " d'opinions radicales ", mais le préfet s'empresse d'ajouter " honnête homme " et de " faible portée ". [8]

La nouvelle importance du mandat de conseiller général

Les conseillers généraux sont élus pour neuf ans. Le canton de Wintzenheim est au nombre de ceux qui ne sont renouvelés qu'en 1842.
Le contexte politique a sensiblement évolué depuis le scrutin de 1833, marqué par une importante politisation. L'influence de l'administration a permis de dépolitiser les scrutins qui se réduisent très souvent à des compétitions entre des candidats conservateurs soutenant le gouvernement. D'autre part, l'éducation constitutionnelle de l'électorat censitaire se poursuivant, et compte tenu de l'importance nouvelle du mandat de conseiller général, les électeurs ont davantage conscience que par le passé de l'importance de ce mandat, et donc du choix des individus.
Plusieurs phénomènes se rejoignent : l'extension et la familiarité du système représentatif, l'évolution des dispositions du corps électoral, la nouvelle importance du Conseil général dans l'administration du département à la faveur de l'extension de ses attributions (une nouvelle loi d'attributions est votée en 1838, les lois de 1836 sur les chemins vicinaux et de 1842 sur les chemins de fer étendent le champ d'action des conseillers généraux).
Les élections cantonales suscitent à nouveau un grand intérêt dans le corps électoral, la presse politique intervient systématiquement et les luttes, souvent indécises, mettent aux prises trois ou quatre candidats.

Scheuch, un notable solidement installé

Bien qu'appartenant à l'opposition, une opposition qui semble s'être fortement modérée, bien que critiquant l'administration, Scheuch n'est pas combattu par la préfecture. Du fait de son influence, de son implantation auprès des agriculteurs et des viticulteurs du canton, il a acquis une solide assise locale, une nouvelle dimension. Il aurait été plus que téméraire de s'y opposer, l'issue du scrutin le démontre.
La participation est toujours nettement inférieure à Wintzenheim par rapport au reste du département (70% / 86,8%), mais l'élection est acquise au sortant au premier tour et avec 97,1% des suffrages. Il ne lui a manqué qu'une voix.
Pour ces élections, Scheuch a bénéficié du soutien actif d'un nouvel organe de presse, le Courrier du Haut-Rhin, proche de l'opposition dynastique et porte-parole des intérêts de l'agriculture. " Homme de la Révolution, homme au cœur compatissant, aux sentiments généreux, M. Scheuch possède ce rare dévouement à la chose publique ", lit-on en exergue dans un article concernant ces élections cantonales. [9]
Le renouvellement suivant est prévu pour 1851, mais la Révolution de 1848, qui emporte le régime de Louis-Philippe, met un terme au mandat des conseillers généraux. Les municipalités, les conseils d'arrondissement et le Conseil général sont recomposés sur la base du suffrage universel dans le courant de l'été 1848.

3. Un moment particulier dans l'histoire du Conseil général

La révolution du suffrage universel en 1848

Organisées fin août 1848, les élections cantonales se situent dans un contexte qui n'a plus rien à voir avec le climat d'excitation et d'euphorie révolutionnaire des premiers mois de l'année. La République est installée, mais elle n'est ni sociale, ni socialiste. A la faveur des événements survenus depuis le printemps, les sanglantes journées de juin, la répression organisée par Cavaignac, elle tend à devenir conservatrice, en attendant de devenir réactionnaire. De février 1848, il reste un héritage : le suffrage universel.
L'introduction du suffrage universel est un saut dans l'inconnu. " Que sait-on en définitive de cette masse jusqu'alors silencieuse (..) Son éducation politique n'a jamais été entreprise (...) La majorité ne sait pas lire et ne discerne qu'imparfaitement ce qu'elle veut. En tout cas le brusque et prodigieux élargissement du corps électoral ôte aux autorités politiques et sociales l'espoir d'orienter les élections. Un préfet avec un peu d'habileté pouvait déplacer les quelques dizaines de voix dont dépendait généralement le résultat ; voilà qui devient impossible..." [10] Le pouvoir politique doit désormais intégrer une nouvelle composante : l'opinion populaire. On passe " sans transition aucune d'une vie politique feutrée, amortie, tamisée aux grondements des passions populaires ". [11]

Les nouvelles données du scrutin cantonal

Le corps électoral est dilaté aux dimensions de la nation. Le nombre d'électeurs est multiplié par soixante-dix à Wintzenheim. Les conditions de cens disparaissent.
Est désormais électeur tout citoyen âgé de 21 ans, jouissant de ses droits civils et politiques et ayant son domicile réel depuis six mois au moins dans une commune du département.
Sont éligibles tous les électeurs âgés de 25 ans, domiciliés dans le département.
Les votes se font toujours au chef-lieu du canton et non dans les communes. La démocratie n'est donc pas encore totale, mais le fait de devoir se rendre au chef-lieu n'est aucunement un obstacle insurmontable, les cantons ayant été dessinés de façon à permettre un accès rapide à son chef-lieu (deux heures) et les hommes ayant l'habitude de marcher, de se rendre au chef-lieu. [12]
La physionomie du scrutin diffère de ceux de la monarchie. La disparition des conditions censitaires et les nouvelles données de la vie politique suscitent une multiplication des candidatures. Dix candidats sont en lice, mais trois uniquement recueillent un nombre substantiel de voix.

Une élection à caractère politique

A Wintzenheim, l'esprit de février n'est pas totalement éteint. Les élections y ont eu une signification politique, alors qu'ailleurs elles ont le plus souvent pris une résonance sociale, favorisant les anciens élus de la monarchie censitaire.
Deux conservateurs, le sortant Scheuch, un industriel du Logelbach, Antoine Herzog fils, et un socialiste, le médecin Pierre-Paul Jaenger se disputent les suffrages des électeurs du canton de Wintzenheim. C'est ce dernier qui l'emporte avec 41,2% des voix. Il a su profiter de la répartition des suffrages entre ses adversaires, 36,4% pour Scheuch [13] et 19,1% pour Herzog. L'apprentissage de la démocratie se fait lentement. La participation s'effondre. Il n'y a que 44,9 % de votants à Wintzenheim. L'éducation institutionnelle et politiquè qui s'est progressivement faite dans les élites sociales sous la Monarchie de Juillet n'est pas encore faite au niveau de l'ensemble de la population. Nous ne sommes qu'au début d'une période de formation de la culture politique et électorale des populations, d'une structuration du débat politique. On n'écartera certainement pas les facteurs conjoncturels. Il est possible que le facteur lassitude ait pu jouer, s'agissant de la troisième consultation en l'espace de cinq mois (législatives, municipales, cantonales). Nous sommes d'autre part à la fin du mois d'août, le sommet de la saison agricole.

Une grande figure de la vie politique représente Wintzenheim au Conseil général

L'élection de Pierre-Paul Jaenger (1803-1867) [14] constitue l'un des grands événements dans le Haut-Rhin en août 1848. Petit-fils et fils d'un médecin d'Eguisheim, il devient à son tour médecin, installé à Rouffach, puis à Colmar. Praticien de renom et de qualité, il a notamment dirigé pendant vingt-cinq ans l'école d'accouchement de Colmar, il est également l'une des principales figures politiques du Haut-Rhin durant la Seconde République. Promoteur actif des idées saint-simoniennes et fouriéristes dès les années 1830, présent lors de la campagne des banquets lorsqu'elle passe par le Haut-Rhin en 1847, il accueille avec satisfaction la révolution de février 1848. Omniprésent dans la vie politique locale (presse, comités électoraux, réunions électorales), il n'obtient qu'un mandat, celui de conseiller général de Wintzenheim.
Au sein de l'assemblée départementale, il anime avec les autres élus démocrates une constante lutte contre la majorité conservatrice et la préfecture, sur les questions politiques, sur la défense des intérêts de l'agriculture et surtout celles d'assistance publique (lutte contre la mendicité, paupérisme). Accusé d'excitation à la guerre civile, à la suite de manifestations qu'il a organisées à Colmar en soutien des démocrates italiens, il s'enfuit en Suisse, mais rentre pour son procès. Jugé à Besançon, il est acquitté. Après le Coup d'État du 2 décembre 1851, Jaenger refuse de prêter serment aux nouvelles institutions et se retire de la vie publique.

4. L'intervention de l'Administration sous le Second Empire

Le principe des candidatures officielles.

Le code électoral appliqué en 1848 est rétabli en 1852, à deux innovations près, des innovations d'importance : le vote dans les communes et la direction des suffrages.
Le principe de la candidature officielle n'est pas une forme spécifique de la démocratie directe, mais une délégation de souveraineté. Elle repose sur l'idée, généralement peu récusée alors, que le gouvernement n'est pas neutre dans les luttes électorales, qu'il a le droit d'éclairer les électeurs sur les candidatures en lice. De l'inexpérience de l'électorat, le suffrage universel est récent, de ses premières expériences, le gouvernement déduit un devoir d'éducation politique qui prend tout son relief s'agissant des populations rurales. La démarche de l'administration est combattive, car l'objet de ces candidatures n'est pas tant d'assurer l'élection des personnes choisies que d'éviter les élections de candidats hostiles à l'administration.
L'administration présente un candidat officiel dans chaque canton, candidat que le préfet et l'ensemble des services administratifs doivent faire élire. [15]
La lettre que le préfet Dürckheim envoie aux maires du département en juillet 1852 résume, et les motivations de l'administration, et l'action qu'elle entend mener. [16] " Il importe que le mandat de représentant du département (..) soit confié à des hommes éclairés dont le caractère honorable et l'esprit éclairé inspirent la confiance et mandent le respect. Il faut aussi que les membres (...) soient franchement dévoués au gouvernement du Prince Louis-Napoléon afin que l'unité et l'harmonie règnent dans tous les rouages du pouvoir et que ce dernier soit fortement appuyé sur toutes les délégations du peuple dont il veut développer et assurer le bonheur. Afin de ne pas diviser les votes et pour éviter toute incertitude dans votre commune, je crois devoir vous indiquer les candidats sur lesquels paraît devoir se réunir la majorité dans votre canton et que l'administration entend appuyer de sa légitime influence : (.. liste des candidats..) ".

Le choix d'un candidat officiel.

Dans le canton de Wintzenheim, comme dans ceux représentés par un conseiller démocrate socialiste, l'administration intervient pour imposer un homme neuf, dont elle répond du dévouement et des opinions. Le choix semble avoir été fait sans grande hésitation : la préfecture retient l'industriel Antoine Herzog père (1786-1861), propriétaire d'un vaste ensemble industriel au Logelbach, qui n'a d'égal que quelques grandes entreprises mulhousiennes et vosgiennes.
Ce candidat présente différent avantages : homme nouveau, apolitique, riche et influent. Il a également valeur d'exemple. Le préfet Dürckheim le présente ainsi au ministère de l'Intérieur. [17] " Homme de beaucoup d'intelligence et de bon sens, mais peu lettré. Simple ouvrier qui par son talent, sa probité et son intelligence a su gagner une fortune de 4 millions. Esprit simple et bon, M. Herzog a vécu autrefois très éloigné des affaires et de la politique ". [18] La classe ouvrière " aime M. Herzog comme un des siens ". L'itinéraire de celui qui est au début des années 1850 l'un des principaux industriels du Haut-Rhin est en effet singulier dans le patronat local. [19] Fils d'un ouvrier de fabrique, ouvrier lui-même, il est remarqué par son patron, envoyé faire des études à Paris. A son retour, il devient directeur d'une usine et allait vite acquérir la réputation d'un bâtisseur d'usines. Au service des Schlumberger de Guebwiller, il vient au Logelbach monter une filature de coton en 1818. Devenu propriétaire de l'établissement, il adjoint une seconde filature, point de départ d'une extension continue (Orbey, Turckheim, Ingersheim, Fréland et Labaroche).
Le choix de Herzog s'explique également par ses appuis familiaux. Son gendre Eugène Lefébure, en charge des succursales d'Orbey, conseiller général de Lapoutroie depuis 1848, élu député en février 1852 a déterminé la préfecture à ce choix, mais le plus délicat reste à venir : assurer l'élection.

Le candidat officiel est élu, mais l'intervention officielle irrite.

Herzog est élu conseiller général en août 1852, mais l'élection a été l'une des plus difficiles, dans un canton où la conscience politique est particulièrement développée, malgré l'éteignoir qu'impose l'administration sur la vie politique.
Cinq candidats indépendants, des notables qui n'acceptent pas le choix de l'administration, le principe de son intervention ou qui s'estiment lésés et mal représentés par le candidat retenu entrent en lice : les deux anciens conseillers du canton, Scheuch et Jaenger, le gourmet Scherb, le maire de Turckheim Karm et le maire de Husseren, l'industriel Rudler.
C'est ce dernier qui obtient le plus de suffrages parmi les opposants, 31,8% des suffrages, privant Herzog d'un score caractéristique des candidatures officielles (90/95%). [20] Rudler l'emporte dans cinq des onze communes (Husseren, Turckheim, Eguisheim, Herrlisheim et Obermorschwihr), mais Herzog obtient des suffrages en nombre substantiel dans certaines de ces communes et recueille de très larges majorités, si ce n'est la quasi unanimité, dans les autres. Au chef-lieu, Wintzenheim, commune la plus peuplée, Herzog obtient 95% des suffrages, voix qui représentent 46% de l'ensemble de ses voix.
Dans ce canton, comme dans les autres, un second élément modère encore la portée du succès de l'administration. Le seul phénomène pouvant avoir une signification politique est l'abstention, et justement, elle est importante. La participation, qui est de 55,1% dans le département, s'élève à 55,9% à Wintzenheim. L'abstention est forte dans toutes les communes, les plus importantes (50% à Eguisheim, 43% à Wettolsheim) comme les plus petites (64% à Voegtlinshofen, 61% à Zimmerbach). Malgré la présence de nombreux candidats, la mobilisation du corps électoral se fait difficilement. Un enjeu peu porteur, la lassitude électorale, les travaux agricoles estivaux, le système des candidatures officielles, l'incertitude de ce type de scrutin, ces différents facteurs ont concurremment joué contre une participation importante.

Tableau n° 1 : L'élection cantonale des 1er et 2 août 1852

Wintzenheim 


Wintzenheim  Wintzenheim 
Pierre Paul JAENGER (1803-1867)
Photographie Antoine Meyer 
Antoine HERZOG père (1786-1861)
Photographie Antoine Meyer  

Wintzenheim 

Antoine HERZOG fils (1816-1892)
Antoine Herzog par Édouard Dubufe (1869) (photo E. Ohresser)
Document extrait de l'Annuaire de la Société Historique et Littéraire de Colmar - 1960 - (p 128bis)


L'influence de l'Administration, quand même

Les électeurs de Wintzenheim sont rappelés aux urnes dès 1858 pour le renouvellement triennal, le sort en ayant décidé ainsi. L'administration ayant éprouvé quelques échecs électoraux lors des précédentes élections, un soin particulier est mis au choix des candidats officiels. " Vous vous attacherez d'abord à n'admettre que des hommes véritablement sympathiques aux populations (...) Ceux que vous proposerez doivent présenter des garanties sincères de dévouement à l'empereur (...) des hommes tenant au pays. (...) Vous donnerez la préférence à ceux qui ont une connaissance exacte des besoins et des intérêts de leur circonscription ". [21] 
Herzog a été quelque peu contesté en 1852, mais il s'agit d'un des cadres du gouvernement bonapartiste et il est remis en lice, malgré ses soixante-douze ans.
Le canton de Wintzenheim se distingue toujours par sa propension à contester l'administration, quatre candidats indépendants s'opposent de nouveau au candidat officiel, mais la puissance de la machine préfectorale, l'influence et la stature de Herzog font la décision. [22] Ce dernier obtient 93,7% des suffrages. De surcroît, pour la première fois depuis les années 1840, la participation est importante : 68,4% des électeurs.
Dans ce canton à la structure socio-économique particulière, peu de propriétaires fonciers, beaucoup de petits viticulteurs et de plus en plus d'ouvriers à la limite du paupérisme, l'administration ne parviendra jamais à asseoir son influence comme dans maints autres cantons. L'élection partielle de 1861 allait encore le démontrer.

Le candidat officiel change, mais non les opposants et la contestation.

Antoine Herzog père décède le 5 novembre 1861 au Logelbach. Il faut le remplacer. Comme cela se produit fréquemment sous le Second Empire, l'alternative familiale est la première envisagée. Au cours de cette année, quatre conseillers généraux ont déjà été remplacés par un fils ou un neveu.
Le préfet Odent envisage la même solution à Wintzenheim, en proposant comme candidat officiel le fils ainé du sortant, Antoine Herzog fils (1816-1892). [23] " Âgé de 47 ans (...) aujourd'hui à la tête de l'important établissement que dirigeait son père. Il est le beau-frère de M. Lefébure [24], député au Corps législatif. Il jouit d'une certaine influence par sa position de fortune. Principalement occupé des affaires commerciales de sa maison, il s'est jusqu'à présent peu occupé des choses politiques, mais j'ai lieu de croire que ses opinions sont sympathiques au gouvernement." [25]
Le décès de Herzog père provoque plusieurs candidatures indépendantes, celle d'un dénommé Herzog, de Wihr-au-Val, celle de Krick, maire de Wintzenheim et à nouveau celle de Rudler. La préfecture prend toutes les précautions. Des courriers et des instructions sont adressés aux maires du canton, au juge de paix, aux percepteurs et au commissaire de police. On y lit notamment, " M A. Herzog continuera les traditions honorables de dévouement de M. Herzog père ".
Comme lors du scrutin de 1858, l'importance des moyens officiels et la personnalité du candidat sont décisifs. Herzog obtient les trois-quarts des suffrages (76,2%).

Un autre notable influent dans le canton, le maire de Husseren : Rudler

La préfecture a droit à un satisfecit de la part de Paris, mais un élément gêne le ministère de l'Intérieur. " Je suis frappé du chiffre considérable des suffrages donnés (...) à M. Rudler, maire de Husseren, bien que ce fonctionnaire eut exprimé l'intention formelle de ne pas se porter candidat et qu'il eut même fait des démarches pour l'élection de M. Herzog ". [26] Il attend du préfet des explications sur cette opposition spontanée.
Ce dernier s'explique [27]. " M Rudler (..) est un homme honorable, jouissant de la considération publique et exerçant une certaine influence dans une partie du canton. Il est dévoué aux intérêts de la commune de Husseren où il est maire depuis fort longtemps. Il s'occupe beaucoup de la vicinalité et a rendu, sous ce rapport des services aux communes qui touchent au territoire de Husseren ".
Selon ce fonctionnaire, les électeurs ont voulu témoigner de leur reconnaissance à ce maire et non faire acte d'opposition à l'administration. Rudler obtient les deux-tiers de ses suffrages dans trois communes : Husseren donc, Eguisheim et Turckheim, communes dans lesquelles il est majoritaire en voix. Comme en 1852, Herzog, que ce soit le fils qui soit en lice ne change rien, et Rudler disposent de fiefs électoraux, de communes où s'exerce en priorité leur influence.

Quand tous les moyens officiels sont mis en œuvre.

L'administration, il est vrai, n'avait rien fait pour entraver réellement la démarche de Rudler, contrairement à ce qui se produit lors du renouvellement triennal de 1867. Le contexte politique a sensiblement évolué. Le début de la libéralisation du régime coïncide avec une reprise en main politique des scrutins cantonaux. La situation n'est paradoxale qu'en apparence. De plus en plus contestée, l'administration compte ses forces. Les conseils généraux, habilement composés, sont des bastions de l'administration impériale : ils doivent le demeurer. Le but des élections cantonales de 1867 est double, renforcer l'influence du gouvernement dans les assemblées départementales, servir de test politique dans la vue des élections législatives de 1869. Le label de candidat officiel n'est plus attribué indistinctement. Il est recommandé au préfet de reconnaître les droits acquis, les services rendus, de prendre en compte l'effet du temps sur les hommes, de récompenser la fidélité.
Compétent sur les affaires administratives, apprécié par ses collègues, et votant toujours dans le sens de l'administration, Antoine Herzog conserve la confiance de la préfecture. Et, comme tous les autres candidats sont dissuadés de se mettre en lice, le candidat officiel est seul en lice. Herzog obtient 97,8% des suffrages. La participation a été plutôt importante, dans un contexte pourtant propice à une forte abstention.

Tableau n° 2 : Les élections cantonales à Wintzenheim (1833-1870)

Wintzenheim

Conclusion : des conseillers généraux représentatifs des intérêts locaux

Les conseillers généraux du canton de Wintzenheim sont l'exact reflet de la structure socio-économique et de sa configuration politique. Ils reflètent également l'évolution générale du recrutement des conseillers généraux du Haut-Rhin entre 1833 et 1870. Durant la monarchie censitaire, c'est un notable cantonal, un riche cultivateur propriétaire, issu du personnel municipal, solidement installé et proche des préoccupations des populations. Ces titres ne sont pas suffisants dans le contexte politisé d'août 1848 : ce sont les opinions politiques qui déterminent le vote des électeurs dans ce canton où la conscience politique est importante. Scheuch, bien qu'ayant une sensibilité de gauche est beaucoup trop conservateur pour les ouvriers et les viticulteurs qui " accueillent " le socialiste Jaenger. Vite confiné dans l'opposition, il est écarté en 1852 par son refus d'adhérer aux nouvelles institutions issues du Coup d'État du 2 décembre 1851.

Dès le début du Second Empire, avec l'intervention de l'administration, on assiste à un renforcement du caractère élitiste du recrutement du Conseil général, malgré le suffrage universel. Wintzenheim est représenté par deux très riches et très influents manufacturiers (des catholiques, ce qui les singularise dans le patronat alsacien), ce qui n'est pas sans susciter des mécontentements d'une partie des élus et des notables locaux.


[1] En marge de notre thèse, O. Conrad, Notables et administration départementale. Le Conseil général du Haut-Rhin. 1800-1870 - Thèse lettres, Strasbourg, 1997.

[2] O. Conrad, Notables et administration départementale..., op. cit., T.IV, p. 180 et 181. F. Igersheim, "François-Joseph-Guillaume de Schauenbourg", dans Encyclopédie de l'Alsace, XI (1985) p. 6711.

[3] O. Conrad, Notables et administration départementale..., op. cit., T.IV, p. 95 et 96. J.M. Schmitt, "Édouard-Valentin Jordan", dans NDBA XIX (1992) p. 1818 et 1819.

[4] AN F1c III Haut-Rhin 5 Lettre du préfet Bret au ministre de l'Intérieur Thiers, 2 octobre 1833.

[5] AN F1c III Haut-Rhin 5 Lettre du préfet Bret au ministre de l'intérieur Thiers, 12 octobre 1833.

[6] O. Conrad, Notables et administration départementale..., op. cit., T.IV, p. 182.

[7} Courrier du Haut-Rhin, 20 novembre 1842.

[8] 8 AN F1b I 230-18.

[9] Courrier du Haut-Rhin, 20 novembre 1842.

[10] R. Rémond, Les droites en France, Paris, 1982, p. 100.

[11] R. Rémond, Les droites en France..., op. cit., p. 99.

[12] Le choix de ce lieu de vote n'est pas tout à fait sans arrières pensées politiques. Dans l'esprit, il s'agissait d'éviter en partie l'influence des notables communaux, et notamment celle des curés. Les électeurs sont appelés à voter par communes. Le vote est secret et les électeurs ont la possibilité d'utiliser leurs propres bulletins.

[13] Scheuch reste maire de Herrlisheim jusqu'en 1855. Il démissionne à la suite d'un différent avec le préfet Cambacérès.

[14] P. Leuilliot, "Un centenaire : le docteur Pierre-Paul Jaenger (1803-1867)", dans Annuaire de la Société d'histoire et d'archéologie de Colmar, XVIII (1968), p. 101 à 117.

[15] La machine administrative se met en branle jusque dans ses moindres ramifications. Le préfet met non seulement à contribution les sous-préfets, les maires, à nouveau désignés par l'administration, et les juges de paix, mais les principaux agents de la fonction publique, afin de multiplier les relais et les intermédiaires. La préfecture s'adresse aux chefs des différentes branches de l'administration départementale - directeur des douanes, receveur général des finances, les receveurs particuliers des finances, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, directeurs des contributions directes et indirectes, directeur des chemins vicinaux, commandant de gendarmerie, commissaires de police - à charge pour ces fonctionnaires de relayer les consignes et les instructions auprès de leurs employés et de la population.

[16] ADHR 3M35 Lettre circulaire du préfet Dürckheim aux maires du département, 24 juillet 1852.

[17] AN F1c V Haut-Rhin 4. Voir P. Leuilliot, "Le Conseil général du Haut-Rhin de la Restauration au Second Empire. - Approche d'histoire sociale", dans Annuaire de la Société d'histoire et d'archéologie de Colmar. XVI (1966), p. 105 à 114.

[18] Herzog est toutefois conseiller municipal de Wintzenheim depuis 1840 et a été élu conseiller d'arrondissement de Colmar pour le canton de Wintzenheim.

[19] N. Stoskopf, Les patrons du Second Empire. Alsace, Paris, 1994, p. 154 à 156.

[20] Karm obtient 1,5% des suffrages, Scherb 1,3%, Jaenger 0,4% et Scheuch 0,4% (ADHR 3M35).

[21] ADHR 3M35 Lettre confidentielle du ministre de l'Intérieur au préfet, 26 mars 1858.

[22] Sont en lice, Rudler (3,1% des suffrages), Karm (0,8%), et deux nouveaux venus, dont nous ne connaissons que les noms, Martin (1,1%) et Krick (0,1%).

[23] M.J. Bopp, "Antoine Herzog fils, un réalisateur et philanthrope alsacien (1816-1892)", dans Annuaire de la Société d'histoire et d'archéologie de Colmar, X (1960), p. 123 à 140.

[24] Celui également du baron Camille-Charles-Auguste de Rheinwald, conseiller général de Colmar depuis 1855.

[25] ADHR 3M45 Lettre du préfet Odent au ministre de l'Intérieur, 25 novembre 1861. Antoine Herzog est conseiller municipal de Turckheim depuis 1852.

[26] ADHR 3M45 Lettre du ministère de l'Intérieur au préfet Odent, 3 janvier 1862.

[27] ADHR 3M45 Lettre du préfet Odent au ministre de l'Intérieur, 5 janvier 1862.

ABREVIATIONS :
ADHR : Archives Départementales du Haut-Rhin
AN : Archives Nationales
NDBA : Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne


Olivier CONRAD

Annuaire N° 1 - 1997

Société d’Histoire de Wintzenheim 


VERSION PDF POUR IMPRIMANTE

Copyright SHW 2019 - Webmaster Guy Frank

E-mail
contact@knarf.info

Page d'accueil Herzog
http://wintzenheimlogelbach.free.fr/Herzog/Herzog.htm