WINTZENHEIM . LOGELBACH

Antoine Herzog fils (1816-1892)


« Il fut le digne successeur d’un père qui par son intelligence et par l’amour du travail s’était hissé à la tête d’une des plus belles entreprises de l’Alsace ... c’est matériellement et spirituellement qu’Antoine Herzog fut l’héritier de son père. Il considérait comme un devoir sacré de suivre ses traces, de le dépasser encore si possible, pour se montrer digne de lui. De tous les grands industriels, hommes de grande valeur, réalisateurs énergiques, bienfaiteurs de la classe ouvrière qu’a produit l’Alsace au XIXème siècle, c’est lui qui présente la figure la plus sympathique, quoique inconnue du public...» C’est ainsi que Joseph-Marie Bopp présente Antoine Herzog dans son article paru en 1960 dans la revue historique de Colmar et qui est certainement le texte le plus complet écrit à son sujet.

Né le 16 août 1816 à Guebwiller, Antoine Herzog fit ses études au lycée de Strasbourg, et suivit ensuite, comme auditeur libre, les cours de l’École Centrale de Paris destinés à la formation d’ingénieurs pour l’industrie et les travaux publics, ce qui explique sans doute son goût pour les travaux hydrauliques. Son père, dès qu’il eut vingt ans, l’attacha à la maison paternelle, le dirigeant lui-même à travers les différentes branches de sa fabrication.

A l’âge de 23 ans, il épouse en 1839 Ernestine Kohler, d’une famille colmarienne d’origine suisse, dont la sœur Caroline épousera son frère Eugène. Elles prendront en charge ensemble toutes les œuvres de bienfaisance entreprises par la famille. Esprit d’une large envergure, intelligence bien faite pour les spéculations hardies et les vastes entreprises, il n’a cessé de travailler et d’accroître le cercle de ses affaires, dès que la mort de son père (1861) avait mis les usines du Logelbach entre ses mains.

Il expérimenta les nouveaux métiers à tisser, remplaçant les anciens Mull-Jennys, et monta en 1855 une filature en Selfacting. Dès ce moment, son temps fut absorbé par des travaux hydrauliques considérables dus à son initiative : la construction du canal de Turckheim au Logelbach, l’établissement des vastes réservoirs et barrages dans la vallée d’Orbey, et la régularisation de la force hydraulique de 1200 Chevaux, qui ne suffisaient même pas à la marche de tous ses établissements. Ces travaux exécutés sur la Fecht au travers de ses propriétés, sont des œuvres d’art dont se glorifiaient les plus habiles ingénieurs, tant sous le rapport de la hardiesse de leur exécution, que sous celui de leur aspect pittoresque.

Le soin le plus assidu d’Antoine Herzog était l’amélioration du sort de la nombreuse population ouvrière qu’il occupait. Sa charité vraiment chrétienne le porta à fonder un hôpital, des écoles, des caisses de maladie, de secours, et de retraite ; il fit construire à ses frais, et sur le modèle de la Sainte-Chapelle de Paris, la gracieuse chapelle du Logelbach ; en 1866, il fonda les cités ouvrières de Colmar, à l’instar de celles de Mulhouse. Comme son père, il renonça, malgré les sollicitations vraiment nombreuses venues de toutes parts, aux honneurs publics. Il voulut toujours rester étranger aux choses de la politique.

Après la guerre de 1870, il se retira à Paris où il fonda la société immobilière de la plaine Monceau. Il fit don à la ville de Paris de terrains sur lesquels devaient s’ériger les rues de Logelbach, Thann et Phalsbourg. On a de lui « L’Algérie et la crise cotonnière », 1864, remarquable exposé des tentatives faites à cette époque pour coloniser l’Algérie sur une échelle plus large ; le rôle que l’auteur a lui-même joué dans ces tentatives, et la nature des obstacles contre lesquels ses efforts se sont brisés donnent à ce récit l’intérêt le plus vif. D’autres chapitres concerneront plus précisément les actions les plus remarquables de ce grand industriel si entreprenant, d’abord ses établissements textiles en Alsace, mais aussi ses talents d’hydrographe, son activité en Algérie et au Sénégal, à Paris, et ses réalisations en matière sociale.

Le présent chapitre est davantage destiné à situer Antoine Herzog fils dans son environnement personnel, familial et amical d’une part, et dans son action publique d’autre part, au conseil général du Haut-Rhin et à la chambre de commerce de Colmar.


Antoine Herzog fils dans son environnement familial et privé

Charles Goutzwiller, dans son recueil de souvenirs « A travers le passé », évoque Antoine Herzog et sa famille :

“ ...la famille Herzog, du Logelbach qui compte parmi les premières de la grande industrie alsacienne, était un de ces foyers sympathiques attirant dans son orbite toute la société bien pensante de Colmar.
Madame Antoine Herzog, mieux connue sous le nom de Madame Ernestine, était le génie bienfaisant de la maison, animant tout autour d'elle. Dans cet intérieur bourgeois et patriarcal vivifié par une belle jeunesse, elle trônait, respectée et adulée comme une reine, faisant rayonner autour d’elle ses œuvres de bienfaisante assistance.
Dans ce milieu où dominait la sévère figure de M. Antoine Herzog, que Charles Grad appelait "Magnus", on voyait s’agiter un personnage curieux, espèce de pince sans rire, qui jouait le rôle d’amuseur dans la famille et avait su s’y rendre aussi indispensable qu’un chambellan dans un palais. C’était Michel Hertrich, peintre miniaturiste...
Dans cet intérieur patriarcal, l’élément féminin, rempli de distinction et de grâces attractives, dominait facilement son entourage un peu effacé. Madame Ernestine, devenue le bon génie de la maison, partageait avec sa sœur et ses jeunes filles, le privilège de répandre une atmosphère de sociabilité et de gaieté communicative dans cet intérieur parfois sévère qui avait besoin d’un certain stimulant. Attirés dans la sphère d’influence de cette aimable colonie, des artistes, des savants, des hommes de lettres, des ingénieurs, des magistrats, des ecclésiastiques surtout, prenaient volontiers le chemin du Logelbach où la famille Herzog avait su multiplier sous toutes les formes les charmes de son séjour champêtre.

Logelbach

Antoine Herzog jeune, par Michel Hertrich

Le Letzenberg, petit contrefort des Vosges, enclavé dans son vaste domaine et surmonté d’un chalet où l’on accédait par un immense escalier, le charmant vallon du Florimont traversé par le cours d’eau de la Fecht, des jardins splendides, un parc aux doux ombrages, des concerts et des dîners fins, il n’en fallut pas davantage pour attirer dans ce domaine du bon Dieu une société choisie. Ce n’était là, toutefois, que l’aimable côté des choses temporelles. Pour répondre aux besoins spirituels qui occupaient une place prépondérante dans la maison, Antoine Herzog avait fait construire vis à vis de ses établissements, une chapelle gothique dont la silhouette gracieuse se détache sur le fond violet de la montagne. Ce monument, inspiré sans doute par la piété de sa femme et dont les plans ont été dressés par un architecte belge d’après ceux de la Sainte-Chapelle de Paris, a dû lui coûter fort cher et fait grand honneur à sa mémoire. Quand il fut terminé en 1862, j’en fis un dessin d’après nature qui fut reproduit par Le Monde illustré... Peu après la guerre, M. Herzog acquit à Paris, rue Murillo, un magnifique hôtel dont l’une des façades donne sur le parc Monceau. On préludait alors à la création du grand quartier aristocratique de la plaine Monceau, devenu depuis une grande ville peuplée d’hôtels princiers, de squares et de statues. M. Herzog acheta dans ce quartier d’avenir un lot de terrains qu’il revendit à la société immobilière qui venait de se former et qui a remué là tout un monde d’ouvriers et de matériaux. C’est lui qui fit donner à l’une des nouvelles rues le nom de rue du Logelbach, en souvenir du faubourg de Colmar où sont ses établissements industriels.
Dans le courant de l’automne 1874, je fus abordé au Parc Monceau par M. Herzog que j’eus quelques peines à reconnaître tant il avait blanchi. Il me conduisit dans son hôtel situé en bordure de la promenade et où il comptait venir, en famille, passer l’hiver. Dans son cabinet de travail, il me montra le portrait en pied et en robe rouge de M. Fauconneau Dufresne, premier président de la cour de Besançon et père de son gendre.
Connaissant le talent d’Henner comme portraitiste, il avait conçu le projet de faire par lui le portrait de sa femme, grandeur naturelle. Quelques temps après, M. et Madame Herzog, sachant que j’étais lié avec Henner, vinrent me trouver et me prièrent d’être l’intermédiaire entre l’artiste et eux pour régler les conditions d’exécution de cette œuvre.
Avant d’entreprendre le tableau en grand, l’artiste fit, à titre d’étude préalable, un portrait en buste d’une merveilleuse ressemblance qui lui servit de point de départ pour l’exécution du grand portrait. Cette tête d’étude fit partie de l’envoi d’Henner à l’exposition universelle de 1878.
Peu d’années après la célébration de la cinquantaine du mariage de M. et Madame Antoine Herzog, la mort est entrée dans cette maison hospitalière où, pendant une longue série d’années, tant d’amis avaient trouvé bon accueil. »

En famille, Antoine Herzog a été un grand-père très attentif à l’égard de ses six petits-enfants, issus du mariage de sa fille unique Marie avec Émile Fauconneau Dufresne. Ils vivront avec lui au Logelbach dans leur petite enfance jusqu’en 1870, et iront passer leurs vacances d’été au Logelbach lorsqu’ils seront devenus parisiens.
C’est aussi Antoine Herzog qui assurera l’installation de ses enfants et petits-enfants à Paris, d’abord chez lui rue Murillo puis dans l’hôtel particulier du boulevard de Courcelles, et c’est pour eux qu’il fera construire la maison de campagne de l’île de la Jatte à Neuilly.
Et au-delà de cette présence familiale affective étroite, c’est lui qui dotera chacun de ses petits enfants pour leurs mariages. Il est à noter qu’Emmanuel, l’aîné des garçons et filleul d’Antoine Herzog, comme Marguerite, l’aînée des filles et filleule d’Ernestine Herzog, seront plus favorisés à cet égard que leurs cadets...
Il sera de manière générale un vrai chef de famille, notamment vis à vis de tous ses neveux : Léon Lefébure qu’il enverra en Algérie où il fera ses premières armes dans la politique, Jean Maritz qui sera son homme de confiance à Paris, et les enfants de son frère Eugène, prématurément disparu, trouveront en lui un guide et un soutien.

Parmi ses relations et amis, il restera proche de ceux d’Alsace, et certains méritent d’être cités.
Plusieurs artistes peintre auront sa faveur, parmi lesquels Jean-Jacques Walz, qui connaîtra la célébrité sous son pseudonyme « Hansi », et fut dessinateur aux Établissements Herzog ; c’est à cette époque qu’il réalisa plusieurs aquarelles représentant la chapelle et le parc du Logelbach. Antoine Herzog aura parmi ses relations le peintre Benjamin Constant qui sera son locataire sur l’île de la grande Jatte à Neuilly, et le peintre Édouard Dubufe, célèbre portraitiste de la haute société du second empire, qui fit de lui un portrait en 1869. [1]

Michel Hertrich, qui était ami d’enfance de Mme Antoine Herzog, évoqué dans les souvenirs de Goutzwiller, et qui vécut dans l’intimité de la famille, fut l’auteur d’un grand nombre de portraits et de miniatures de membres des familles Herzog et Kohler dont beaucoup sont encore possédées par leurs descendants. Certaines de ses œuvres sont exposées au musée d’Unterlinden de Colmar.

Logelbach

Marie Herzog enfant, miniature de Michel Hertrich

Jean-Jacques Henner enfin, installé à Paris après 1870, « le peintre de l’Alsace », deviendra l’ami des dernières années. Les lettres échangées entre eux, aujourd’hui détenues par le musée Henner à Paris illustrent ces liens d’amitié entre Antoine et Ernestine Herzog née à la faveur de la réalisation du portrait d’Ernestine, et ce peintre plus célèbre à l’époque qu’aujourd’hui. Henner réalisera un portrait en pied, enlevé en une quinzaine de séances notées dans l’agenda du peintre de janvier à avril 1875, et payé en mai 8.000 francs. Selon son habitude, Henner exécute en même temps une étude de la tête de face qui est envoyée au salon et un petit portrait de profil. Le 14 avril 1875, Ernestine écrira au peintre : « ...mon mari m’a annoncé ce matin que je partirai ce soir avec lui pour Lyon, Turin, Venise, notre absence sera de 8 jours ! Aussitôt mon retour, je vous écrirai pour prendre jour pour notre dernière séance. Mettez un coquelicot à mon corsage et non une grenade..

Logelbach

Ernestine Herzog, portrait par Jean-Jacques Henner (1875)

Dans son article consacré au « salon de 1875 », Émile Bergerat souligne que l’artiste s’est surtout attaché à représenter « le type de l’honnête femme du XIXème siècle ». Quant à Jules Clarétie, il remarque les qualités de dessinateur comme de coloriste du peintre et ajoute : « M. Henner peint le regard et il peint l’âme ». Henner envoyait les articles élogieux de la presse à son modèle qui le remerciait chaleureusement.
« Logelbach le 18 mai 1875...oui, grâce à vous, je passerai à la postérité...votre talent a un succès immense et bien mérité…comme mon nom ne sera pas mis sur la reproduction en gravure, comme vous le dites, il n’y a pas d’inconvénients qu’on reproduise mon portrait..
« Logelbach le 27 mai 1875.... tous les articles que vous m’envoyez me font un plaisir énorme en ce qui concerne les éloges mérités qui vous sont adressés, quant à ce qu’on dit du modèle est beaucoup trop flatteur, ma modestie en est intimidée... je vous enverrai M. Mauger, 10 rue Grange Batelière, pour qu’il prenne mesure de cadres pour la Vierge et mon profil...»
Des contacts réguliers auront lieu entre le peintre et M. et Mme Antoine Herzog qui le recevront régulièrement 6 rue Murillo, pour des soirées musicales, dîners intimes, réceptions d’après-midi.

En 1880, Ernestine va commander une réplique de la « Magdeleine » du salon de 1878. Ce tableau eut un tel succès qu’entre 1878 et 1880, Henner en fit sept répliques de grand format et une quinzaine de petites études. « ... je rêve et je pense à ma Madeleine, la place en est désignée dans mon boudoir où je passe la plus grande partie de mon temps, je l’aurai presque sans cesse sous mes yeux...» lui écrivait Ernestine.

Jean-Jacques Henner sera invité aux noces d’or d’Antoine et Ernestine Herzog célébrées au Letzenberg... Le 6 septembre 1889, Ernestine écrit à Henner : « De mon boudoir et en face de notre Madeleine, je vous écris pour vous prier de venir vous joindre à nous le 8 octobre, nous ferons dire ce jour-là une messe dans notre chapelle du Letzenberg érigée d’après vos indications, elle sera bénie ce jour, mais on fait sa toilette en ce moment… mon mari ayant décidé la bénédiction de la petite chapelle et désire que la première messe y fut dite le 8 octobre, nous avons tout de suite pensé à vous...» Une lettre d’Ernestine du 5 octobre 1889 adressée à Henner confirme l’invitation : « Cher monsieur et ami, la date est le 8, je vous ai prié de venir le 7, votre chambre est prête, l’habit est prohibé et le chapeau (petit) est admis, nous sommes en famille. La messe dite à la chapelle Saint-Antoine au Letzenberg, on déjeunera et dînera au chalet, pour rentrer le soir au Logelbach. Vous ne sauriez croire combien nous serons heureux de vous voir dans notre solitude. Mettez un mot à la poste pour me dire par quel convoi vous arriverez lundi afin que je vous envoie ma voiture. Agréez cher ami la part la meilleure de mes sentiments affectueux. »

Une lettre de JJ. Henner envoyée à sa famille peu après relate son séjour :
« ...je rentre de Colmar, j’ai passé 3 jours au Logelbach à la noce d’or de M. et Madame Herzog qu’on a célébrée sur le haut de la montagne, dans la chapelle dont j’ai donné l’idée. C’était vraiment charmant, il n’y avait que M. Grad et moi d’étrangers. On a déjeuné et dîné en haut, on a lancé des ballons, il y a une vue magnifique et le temps était splendide. Il y avait M. et Mme Lefébure, le jeune ménage Dufresne, et celui du jeune Herzog. Le soir, descente aux torches dans les sentiers en zig-zag, c’était vraiment charmant...»

Quelques clichés ont fixé cette réunion de famille ; les invités réunis autour d’Antoine et Ernestine Herzog parmi lesquels on reconnaît Jean-Jacques Henner et Michel Hertrich, et cette belle photo d’Ernestine Herzog avec sa petite fille Marguerite Fauconneau Dufresne, épouse de René Petit.

Photo noces d’or Antoine et Ernestine Herzog

Plusieurs tableaux d’Henner figureront dans l’inventaire des tableaux d’Antoine Herzog, et selon la tradition familiale, Jean-Jacques Henner aurait réalisé pour la chapelle du Letzenberg un tableau intitulé « La tentation de Saint Antoine » où le saint aurait eu les traits d’Antoine Herzog. Ce tableau s'est volatilisé lors des bombardements du 15 août 1914. Le portrait en pied d’Ernestine sera plus tard propriété de son petit-fils Emmanuel Fauconneau Dufresne ; vendu par sa famille, il est aujourd’hui dans un musée à Montréal. L’étude de la tête exposée au salon de 1875 fut léguée par Henner au musée du Petit-Palais à Paris où il se trouve encore. Marie Herzog, épouse d’Émile Fauconneau Dufresne, hérita de "La Madeleine", et dans son testament, en fit don à son mari. Plus tard ce fut leur fille aînée Mme René Petit qui en hérita, ainsi que de l’étude de tête de profil, puis sa fille Simone, baronne Jean Stoffel. A sa mort en 1984, « La Madeleine » fut vendue par ses héritiers à l’hôtel Drouot. La tête de profil est toujours dans cette branche de la famille. La "Vierge" évoquée par Ernestine dans sa lettre est une copie d’un tableau de Raphaël, et se trouve encore chez les descendants de sa petite fille Mme Stanislas Rougier née Marie Fauconneau Dufresne.

Antoine Herzog avait du goût pour la peinture et la sculpture, et l’inventaire après décès de son mobilier énumère 36 peintures parmi lesquelles nous trouvons les noms d’Henner et d’Hertrich bien sûr, mais aussi de Corot, Vernet et d’Ingres. A Paris, sur l’île de la Grande Jatte de Neuilly, on trouve des statues de marbre évaluées à 8.000 M. Antoine Herzog fit partie des premiers membres de la Société d’Histoire Naturelle de Colmar en compagnie de nombreuses personnalités de l’industrie de la région (Haussmann, Hartmann...)


Antoine Herzog conseiller général du Haut-Rhin et fondateur de la chambre de commerce de Colmar

- Le Conseil Général du Haut-Rhin

Antoine Herzog ne manifestera jamais d’attirance manifeste pour la politique et les affaires publiques. Mais au décès de son père en 1861, son nom est proposé par la préfecture, car comme cela se produit fréquemment sous le second empire, l’alternative familiale est la première envisagée ; le préfet Odent propose donc comme candidat officiel le fils aîné du sortant : « Âgé de 47 ans, aujourd’hui à la tête de l’important établissement que dirigeait son père. Il est le beau-frère de M. Lefébure, député au corps législatif. Il jouit d’une certaine influence par sa position de fortune. Principalement occupé des affaires commerciales de sa maison, il s’est jusqu’à présent peu occupé des choses politiques, mais j’ai lieu de croire que ses opinions sont sympathiques au gouvernement...», « M. Antoine Herzog continuera les traditions honorables de dévouement de M. Herzog père...»

Antoine Herzog fils obtiendra les trois-quarts des suffrages (76,2 %) et sera nommé conseiller général de Wintzenheim. En 1867, Antoine Herzog, compétent sur les affaires administratives, apprécié par ses collègues, et votant toujours dans le sens de l’administration, conserve la confiance de la préfecture. Il obtiendra cette fois-ci 97,8 % des suffrages, avec une participation jugée plutôt importante. Il restera conseiller général jusqu’à la guerre de 1870.

- La Chambre de commerce de Colmar

Antoine Herzog fut d’abord membre de la chambre de commerce du département installée à Mulhouse. On trouve de lui un petit opuscule relatant l’historique de cette structure. Il y propose une réforme du système électoral. En effet, du fait de l’éloignement et de la coutume d’installer un unique bureau de vote, de nombreux intéressés ne peuvent participer au scrutin. L’auteur lui-même affirme que cette opération lui prend deux journées. [2]

Antoine Herzog joua un rôle majeur dans la création de la chambre de commerce et d’industrie de Colmar dont la réalisation fut compliquée, en raison de l’opposition constante de la chambre de commerce de Mulhouse qui existait depuis 1828 et qui considérait s’occuper suffisamment de l’industrie de l’arrondissement de Colmar. Plusieurs tentatives furent tentées sans succès jusqu’en 1861, date à laquelle cinq industriels de la région de Colmar furent chargés de rédiger un mémoire exposant les raisons qui rendaient nécessaires la création d’une chambre de commerce à Colmar, parmi eux Antoine Herzog.
Encore une fois, la chambre de Mulhouse se prononça contre celle de Colmar, concluant «... Colmar n’a jamais été une ville de grande industrie ni de grand commerce...il ne s’agit que d’une question d’amour-propre ou plutôt d’un intérêt de clocher ». Antoine Herzog jugea utile de répondre par une lettre personnelle du 19 août 1861 au président de la chambre de commerce de Mulhouse. Il se plaignit des suspicions peu bienveillantes du procès-verbal : « Vous mettez en suspicion notre bonne foi ; vous dites que vous ne voyez dans notre demande qu’un fait isolé de cinq membres dont la mission des soi-disant adhérents n’est pas justifiée. Dès lors, il est difficile de comprendre pourquoi Mulhouse s’oppose tellement à la création d’une chambre de Commerce à Colmar et pourquoi cette cité doit rester déshéritée de toute influence industrielle et commerciale dans le département » ; « toute rivalité de clocher doit être évitée pour le progrès économique du département ».

Malgré la transmission par le préfet au ministre du dossier concernant la création d’une chambre de commerce à Colmar, et l’avis favorable donné par le conseil général et le tribunal de commerce de l’arrondissement, la réponse fut négative après avis défavorable du Conseil d’Etat. Mais Antoine Herzog, tenace et habile, qui avait réuni une statistique intéressante, ne laissa pas tomber l’affaire : dans une lettre au préfet du 22 juillet 1862, il demanda le renvoi du dossier qui se trouvait au ministère à Paris, se fondant notamment sur les renseignements précieux contenus dans ce dernier. Il contenait en effet toutes les délibérations des conseils municipaux favorables à la création de la chambre de commerce (Ribeauvillé, Kaysersberg, Lapoutroie, Turckheim, Munster, Wintzenheim, Rouffach, Issenheim, Ensisheim, Soultzmatt, Soultz, Guebwiller...) ainsi que toutes sortes de statistiques intéressantes concernant les villes pourvues de chambres de commerce.

En 1867, l’affaire fut à nouveau d’actualité, les industriels de l’arrondissement exposèrent leurs arguments le 26 août 1867 au Conseil général, sur la base des nouveaux facteurs liés au développement des activités de la région. Un avis favorable fut à nouveau donné, car par comparaison, « une chambre de commerce à Colmar primerait en importance les deux tiers des chambres de commerce actuellement constituées ». La demande fut transmise au ministre par le préfet. Encore une fois, Antoine Herzog déploya toute son énergie pour arriver au but, écrivant au préfet qu’il se chargeait de dresser la statistique industrielle de l’arrondissement de Colmar. Le préfet donna un avis très favorable le 20 juin 1868 au ministre. Le Conseil d’Etat se prononça encore contre la création le 8 janvier 1869, ce qui donna lieu à une réponse immédiate du président du tribunal de commerce de Colmar qui mit à néant les arguments du Conseil d’Etat, et dans sa séance du 25 janvier 1870, le conseil municipal de Colmar se dressa énergiquement contre cette opposition du Conseil d’Etat.

Le maire présenta une nouvelle demande au ministre, et fit intervenir le député Eugène Lefébure, beau-frère d’Antoine Herzog. Un changement s’opéra du côté du Conseil d’État, il fut mieux tenu compte des arguments présentés, et le 7 mai 1870, le préfet informa le maire de Colmar que le projet était à nouveau soumis à l’examen du Conseil d’Etat qui finit par rendre une décision favorable. Un décret de l’empereur Napoléon III fut signé le 18 juin 1870 créant la chambre de commerce de Colmar, composée de neuf membres, comprenant comme circonscription l’arrondissement de Colmar. Le maire de Colmar remercia expressément Eugène Lefébure le 20 juin 1870 de ses démarches pour faire avancer le projet.

Les élections des neuf membres de la chambre de commerce de Colmar furent prévues le 22 juillet 1870, entre-temps la guerre entre l’Allemagne et la France fut déclarée le 19 juillet 1870, mais les élections eurent tout de même lieu au jour fixé. Elles nommèrent Jean Hartmann (Munster), Jacques Weber (Ste-Marie-aux-Mines), Jean Schlumberger (Guebwiller), Fréderic Titôt (Colmar), Henry Frey (Guebwiller), Jean-Jacques Blech (Ste-Marie-aux-Mines), E.Fleischauer (Colmar), Benjamin Kress (Colmar) et Antoine Herzog (Logelbach). Mais pour l’installation le 9 août 1870, 3 jours après la bataille de Reichsoffen, seuls quatre membres se présentèrent.

Et le 14 septembre 1870, Colmar fut occupé par les troupes allemandes. Le 6 octobre 1870, E.Fleischauer écrivait au préfet « les circonstances difficiles dans lesquelles nous nous trouvons ont interrompu les travaux de la chambre de commerce française ». Ce fut, à peine créée, la fin de la chambre de commerce française de Colmar, qui reprit son activité sous l’égide allemande en avril 1871, et dont la naissance laborieuse avait pu être obtenue grâce à l’action tenace d’Antoine Herzog, conjuguée à cette de son beau-frère Eugène Lefébure.


Portrait de Charles GRAD par Henner

Charles GRAD, le collaborateur et l’ami

[3]

Personnage réputé de l’Alsace, il joua un rôle prépondérant dans la vie des Établissements Herzog et fut l’ami intime de la famille. Son ouvrage célèbre, « L’Alsace », donne des renseignements très précis sur l’organisation des Établissements Herzog, notamment du point de vue technique.

Antoine Charles GRAD est né le 8 décembre 1842 à Turckheim de Philippe-Antoine GRAD et Marie-Agnès Charlotte KARM. Après avoir fréquenté l'école primaire à Turckheim, il entra en 1855 (à 13 ans) au collège libre de Colmar. Il fut un excellent élève, montrant de remarquables dispositions pour les sciences naturelles et les mathématiques. Auditeur bénévole à l'École des Mines (au cours d'un rapide séjour à Paris). En sortant du collège en 1860 ou 1861, il entra immédiatement dans les Établissements Herzog, secrétaire particulier de M. Herzog, il était chargé de dresser des statistiques industrielles, soit sur les travaux de la maison, soit sur des questions plus générales. A la fin de sa vie, il fut membre du conseil d'administration des Établissements Herzog au Logelbach. Antoine Herzog l'a poussé à occuper des fonctions officielles et à entrer dans la politique militante. Charles Grad était très attaché à la maison Herzog et a toujours cherché à lui rendre service ; cette famille, de son côté, le tenait en haute estime et affection.

La guerre de 1870 et l'annexion vinrent jeter un trouble profond dans cette existence, qui s'était écoulée jusqu'alors dans le calme et l'étude. Après l'annexion, il voulut quitter le pays, opta pour Belfort en 1872 et choisit cette ville comme résidence, sans toutefois y habiter. Son intention était à ce moment d'accepter les offres qu'on lui faisait en France pour entrer dans l'instruction publique comme professeur à la Faculté des Sciences de Nancy. Mais cette première détermination fut bien vite ébranlée ; l'amour du sol natal prit le dessus : il revint dans le pays pour permettre à Antoine Herzog, menacé d'expulsion, de rester en Alsace à la tête de ses Établissements. Pendant ce temps, les délais s'écoulèrent et son option fût annulée, comme celle de beaucoup d'autres, parce que le transfert de son domicile en France n'avait pas été réel.

Il continua encore, dans cette nouvelle phase de sa vie, ses recherches et publications géographiques générales et surtout celles sur les Vosges ; mais un autre facteur entra alors en jeu. Ce sont les questions industrielles et commerciales. Rentré dans la maison Herzog, il n'est plus considéré comme simple employé, mais devint le conseiller, l'homme de confiance du chef de ces importants établissements, avec mission d'étudier l'état de l'industrie alsacienne, les moyens à employer pour la tirer de la crise qui sévissait naturellement sur elle après un changement aussi radical que la nationalité ; à chercher où l'on pourrait créer des relations et des nouveaux débouchés pour les produits de notre industrie qui jusqu'alors s'écoulaient surtout en France. Grad s'occupa sérieusement de ces questions, il étudia la situation faite à l'Alsace et à ses industries diverses, compulsa les ouvrages à ce sujet, et publia lui-même une série d'articles qui devaient ouvrir la voie pour les mesures intérieures à prendre. Ce sont d'abord des ouvrages retraçant l'état de la province annexée, envisagée sous les points de vue les plus divers.

De 1876 à 1880 commence la dernière période de la vie de Charles Grad : celle où il a rempli des fonctions publiques, et qui certes a été pour lui la plus ardue, semée d'épines et de déceptions. C'est en 1876, qu'il fût poussé par Antoine Herzog à briguer le titre de conseiller général pour le canton de Winzenheim : il fut nommé et son mandat fut renouvelé à chaque nouvelle élection. Le Conseil Général, en vertu des droits qui lui sont conférés, le désigna pour le représenter au Landesausschuss en 1878. Puis la circonscription de Colmar l'a élu six fois pour être son député au Reichstag. Il a donc occupé ces trois postes sans interruption jusqu'à sa mort, et la confiance de ses concitoyens à son égard ne s'est jamais démentie.

En 1887, lors des élections faites sur le principe du septennat, il est nommé député par plus de 11.000 voix au lieu des 8.000 qu'il obtenait d'habitude. En 1890, il est obligé de nouveau d'affronter le scrutin et est renommé pour la 6ème fois par la circonscription de Colmar. En même temps, il restait membre de la délégation provinciale et du Conseil Général. En juin 1890 à Berlin, il prononça au Reichstag son dernier discours. Mais épuisé et terrassé par la maladie, il dût en hâte reprendre le train qui le ramena mourant au Logelbach, dans la nuit du 21 au 22 juin. Sa ferme intention était de se rendre le lendemain à Turckheim pour se faire soigner dans sa famille et mourir dans la maison paternelle. Mais le mal avait fait des progrès tellement rapides que les médecins durent s'opposer à ce désir, redoutant les dangers d'un nouveau voyage. Il s'éteignit doucement et sans agonie dans les bras de sa sœur Adèle, le 3 juillet, à une heure du matin, à l'âge de 47 ans et 7 mois.

La nouvelle de sa mort produisit une véritable consternation dans les environs et dans l'Alsace entière : cette nouvelle se répandit au loin avec une rapidité qui prouvait l'importance de la perte qui venait de se produire. Le soir même, sa mort était déjà annoncée dans les principaux journaux d’Alsace : dès le lendemain, non seulement les mêmes journaux donnaient des articles nécrologiques étendus, mais la plupart des journaux, grands et petits, de toutes nuances et opinions politiques, de France, d'Allemagne, même de Suisse et d'Italie, annonçaient ce décès comme un évènement marquant et accompagnaient cette annonce d'articles exprimant leur sympathie et leur admiration pour le défunt.


Mort d’Antoine HERZOG fils

Les dernières années d’Antoine Herzog furent assombries par la perte de sa petite fille Madeleine Fauconneau Dufresne emportée par la grippe en janvier 1889 quelques jours après son mariage avec Stanislas Rougier, et d’autres deuils familiaux. Les difficultés de ses établissements à cette époque sont aussi constitutifs de soucis, et dans ses lettres, en 1890/1891, sa petite fille Marie Fauconneau Dufresne évoque le mauvais moral de son grand-père… et celui de sa mère quand elle revient de ses séjours en Alsace. Une de ses dernières initiatives familiales privées d’Antoine Herzog sera de favoriser le mariage de sa petite fille Marie Fauconneau Dufresne avec son beau-frère Stanislas Rougier, veuf de Madeleine, alors que leur père Émile Fauconneau Dufresne s’était montré hostile par principe au mariage en raison de la parenté d’un beau-frère avec sa belle-sœur… Antoine Herzog saura convaincre son gendre.

Antoine Herzog meurt au Logelbach le 11 avril 1892. La dernière joie de sa vie aura été le mariage de sa petite-fille Marie Fauconneau Dufresne avec le lieutenant Stanislas Rougier le 31 mars 1892. Il ne sera pas inhumé dans la chapelle du Logelbach mais dans un caveau particulier au cimetière de Wintzenheim le jeudi 14 avril 1892. Une rubrique nécrologique paraîtra au journal de Colmar ce même jour :
« Les obsèques de M. Antoine Herzog ont eu lieu ce matin à Wintzenheim où sont déjà inhumés les parents du défunt et divers membres de sa famille. Le cortège s’est formé au Logelbach où une foule immense s’était donné rendez-vous. Toutes les notabilités du pays s’y trouvaient, toutes les classes de la société y étaient représentées, un grand nombre d’industriels, collègues de M. Herzog, des amis accourus de tous les côtés, quelques milliers d’ouvriers qui tenaient à rendre leur chef les derniers honneurs. Le cortège se développait sur une longueur de plus de deux kilomètres. Les ouvriers et ouvrières des établissements ouvraient la marche, puis suivaient les directeurs et enfin le char funèbre. Le cercueil disparaissait sous les fleurs et des couronnes de toute beauté étaient portées à bras d’homme. Cette profusion de plantes rares avait quelque chose de touchant et de poignant à la fois, quand on songe précisément que l’amour des fleurs était une des passions favorites de celui à qui elles étaient consacrées. Le service funèbre n’a pu être célébré à la chapelle du Logelbach qui eut été trop petite pour contenir la foule des assistants. Il a eu lieu à Wintzenheim, à l’église paroissiale, qui avait revêtu à cette occasion ses vêtements de deuil. Le cercueil était porté par des contre-maîtres de l’usine, et les cordons en étaient tenus par MM Frey, curé de Colmar, Otermeyer (de Rouffach), Jean Kiener, Paul Schlumberger [4], et Spoerry. L’office a été célébré par M. le curé de la localité et la société de chant du Logelbach a exécuté une messe en musique. L’inhumation s’est faite ensuite au cimetière de Wintzenheim, où M. Antoine Herzog repose aux côtés de ses parents et du fils dont la mort prématurée a été un des premiers et plus profonds chagrins de sa vie. A l’issue de la cérémonie, M. Jean Kiener a adressé quelques paroles d’adieu à M. Herzog et a rappelé les mérites de sa longue carrière, puis la foule s’est dispersée, vivement impressionnée. »

Plus tard, on pouvait lire dans la presse : « Wintzenheim. Notre cimetière vient de recevoir un monument élevé sur la tombe de M. Antoine Herzog, et dont l’exécution fait grand honneur à M. A.Hatz, le sculpteur colmarien. C’est une simple croix en syénite, mais d’un marbre et d’un travail irréprochables. Elle est posée sur un socle de la même pierre dont un des côtés porte en lettres de bronze le nom d’A.Herzog et les années de sa naissance et de sa mort. Cette croix d’une simplicité grandiose produit un effet plus puissant que bien des monuments richement travaillés et où l’art du sculpteur semble avoir épuisé les combinaisons les plus variées. »

Photo de la tombe d’Antoine Herzog

Portraits Antoine Herzog et Ernestine jeunes + miniature de leur fille

Emmanuel ROUGIER

[1]

[2] J.A. Herzog – Les chambres de commerce Colmar 1870

[3] La notice biographique et bibliographique du Dr FAUDEL, publiée en 1905-1906, et reprise ici, relate la brève et belle carrière de ce grand alsacien.

[4] Comme à la génération antérieure, les liens étroits avec la famille Schlumberger se sont prolongés… Paul Schlumberger, époux de Marguerite de Witt, industriel, fut le père de Conrad et de Marcel, fondateurs de la société de prospection pétrolière Schlumberger.


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