WINTZENHEIM . LOGELBACH

Antoine Herzog fils (par Mario Ossola)


Antoine Herzog fils (1816-1892), un grand chef d’entreprise alsacien

Tous nos regards sont tournés vers le fondateur de cette entreprise Herzog qui fut certes un génie dans son genre mais, en découvrant un article dans une ancienne revue d’histoire, mon attention a été portée sur l’un de ses fils qui a fait que cette création a pu se développer jusqu’à la fin du XIXème siècle. Cet article rédigé par un certain Bopp mettait tellement l’accent sur les talents de cet Antoine Herzog fils au point qu’il nous a paru intéressant d’en faire ici un petit développement.

Situons un peu la généalogie de cette famille Herzog.
Antoine Herzog père, en épousant Françoise Ehret, a eu cinq enfants. Trois garçons, Antoine, Eugène et Emile, et deux filles, Joséphine et Adèle. Antoine était donc l’ainé et était né à Guebwiller le 8 août 1816 où son père dirigeait une première usine de tissage avec comme associé un certain Schlumberger.
Contrairement à son père Antoine II fit des études dans un lycée de Strasbourg avant d’aller fréquenter l’Ecole Centrale à Paris en auditeur libre. Mais dès l’âge de 20 ans il devait rejoindre, à la demande de son père, l’entreprise de tissage qui avait un grand besoin d’un adjoint.

Cette collaboration a ainsi duré jusqu’au décès de son père en 1861, où il se retrouve seul dirigeant de ce grand empire du textile que son père lui laissait. Il pouvait aussi compter sur une immense fortune que cette entreprise avait permis de dégager. Mais c’est là où notre Antoine fils a su se montrer inventif dans des domaines variés mais tous en rapport avec son entreprise. Nous verrons tour à tour cinq principaux aspects de son activité.
- son aptitude d’hydrographe
- son intérêt pour la culture du coton
- son attachement pour les œuvres sociales en faveur de ses ouvriers
- ses activités parisiennes
- sa contribution au développement de notre chapelle Herzog.

Sa devise aura été : « Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséder »

1) L’hydrographe

Le choix de l’implantation des usines dans nos vallées vosgiennes était certes dû à la présence d’une main–d’œuvre mais aussi à celle de l’eau. Celle-ci était vitale pour le fonctionnement des machines, l’eau pure de nos torrents était d’une première nécessité pour les teintureries. Les eaux du Logelbach, dérivation de la Fecht, n’étaient pas suffisantes, aussi Antoine Herzog fît-il agrandir le canal et aménagea une chute d’eau de 16 mètres capable de produire une force de 1200 chevaux-vapeur. Ce sont d’énormes tuyaux souterrains qui ont permis de créer cette chute.

Lorsqu'en 1849 son père ouvrit une usine à Orbey, la question de l’eau dans le débit de la Weiss se fit également sentir par une irrégularité qui handicapait la bonne marche des machines. C’est ainsi qu’avec un groupe d’autres industriels et son beau-frère Charles Lefébure, maire d’Orbey et mari d’Adèle la cadette des enfants, il créa un syndicat dont il prît la présidence. Celui-ci avait pour but de construire deux barrages afin de retenir les eaux des deux lacs blanc et noir afin d’assurer un débit régulier toute l’année. Les travaux commencèrent en 1856 et se sont élevés à 70.000 francs de l’époque avec environ 4.000 francs par an pour l’entretien. Ces deux réservoirs ont permis de stocker jusqu’à 3 millions de mètres cube d’eau et assurer l’alimentation des usines pendant toute l’année. Cette idée a été reprise pour d’autres barrages construits à l’époque dans les années 1885 pendant l’occupation allemande pour les lacs de Sewen, du Forlet, de la Lauch, de Soultzeren et du Schiessrothried. Et c’est bien Antoine Herzog qui avait conçu l’idée de créer ces grands réservoirs d’eau dans les vallées alimentant l’Ill.

2) La culture du coton en Algérie et au Sénégal

Comme les prévisions l’avaient laissé entendre, l’approvisionnement dans la matière première qu’était le coton allait poser des difficultés. Le gros fournisseur de l’époque était les Etats-Unis et en 1861 la guerre de sécession anéantit la production de coton dans ce pays et par voie de conséquence les exportations. Les clients potentiels tels que les tissages Herzog durent se tourner vers d’autres approvisionnements. L’Egypte s’est alors mise à cultiver cette plante en vue de l’exporter mais les clients potentiels se sont interrogés sur la façon de pouvoir l’exploiter eux-mêmes.

- La culture du coton en Algérie semblait possible. Aussi avec son talent d’organisateur et surtout de financier, Antoine Herzog pu s’établir sur un domaine de 25.000 hectares dans l’Oranais avec la mise en place d’une ferme modèle où il pouvait faire travailler de nombreux colons. Il fallait prévoir des réservoirs d’eau en construisant des barrages, il prévoyait la création de coopératives, l’achat de machines à battre, des locomotives, la construction de routes pour relier les ports de la Méditerranée. Mais tout cela nécessitait l’accord des autorités administratives d’Alger qui ne donnèrent jamais suite à ses demandes d’autorisation. Le recours à l’empereur Napoléon III devait rester sans suite, lequel maintenait sa politique arabophile contre les initiatives des colons français. La centralisation à Alger n’était pas la meilleure solution et Antoine Herzog décida d’abandonner son projet. Antoine Herzog s’est obstiné, malgré ces contrariétés, à continuer une exploitation qu’il estimait rentable. En mai 1863, il était le seul à continuer la culture de ce coton dans l’Oranais, tous ses concurrents avaient déjà capitulé devant le mauvais vouloir du Gouvernement Général d’Alger. Mais finalement Antoine Herzog fit de même pour se concentrer vers ses espoirs sénégalais.

- Le Sénégal devait également affirmer sa politique de production du coton, aussi Antoine Herzog se fit attribuer une exploitation de mille hectares à la Pointe Sarène dont le village principal reçu le nom de Saint-Antoine de Sarène. Après les premiers succès qui devaient affirmer la vocation cotonnière de ce pays et contre toute attente, une nuée de sauterelles devait détruire toute une récolte en décembre 1865, elle se répéta en 1866 et 1869. Ces événements découragèrent Antoine Herzog qui abandonna également cette exploitation.

Pendant ces périodes Antoine Herzog s’est beaucoup engagé et réalisa de nombreux séjours dans ces pays pour inciter sans succès le développement de cette culture.

3) L’œuvre sociale d'Antoine Herzog

Pendant toute sa présence à la tête de l’entreprise, Antoine Herzog démontra un grand attachement à la condition de ses ouvriers, il ne cessa d’essayer d’améliorer leur sort. Dès 1864 il prit une mesure qui fit grand bruit en réduisant les horaires de travail pour les porter de 12 à 11 heures par jour sans diminution de salaire. Cette mesure lui procura immédiatement une augmentation de la productivité de 15%. Les autres chefs d’entreprise voulurent l’imiter en réduisant les horaires mais en réduisant également les salaires ce qui devait provoquer une flambée de grèves qui n’ont jamais affecté les usines de Logelbach.

Suite à un incendie en 1868 qui ravagea l’usine de cinq étages construite par son père en 1833, Antoine fit immédiatement reconstruire une usine conçue selon les règles d’hygiène les plus modernes de l’époque, cette construction ne comportait qu’un étage avec un toit en verre améliorant des conditions de clarté, des ventilations et des fontaines placées à l’intérieur des ateliers permettaient d’avoir été comme hiver toujours la même température de 20 degrés. Tous les engrenages des machines étaient recouverts afin d’éviter les accidents. De vastes vestiaires avec fontaines permettaient au personnel de se rafraichir, toutes les ouvrières portaient de grands tabliers blancs fournis par l’entrepris

Mais un souci le tourmentait : c’était l’amélioration des conditions de logement de son personnel. En 1866 il lançait l’idée de la construction de 72 logements sur des terrains qu’il détenait à Colmar au lieudit Bagatelle, chaque ouvrier pouvait devenir immédiatement propriétaire de sa maison par un simple versement de loyer qui au bout de 15 ans lui permettait de se libérer, c’était le principe des location-attributions récemment encore pratiquées par les sociétés d’HLM. C’était lancer l’idée d’intéresser les ouvriers à la propriété. Chaque ouvrier pouvait aussi louer une maison à raison de 25 francs par mois et disposait ainsi d’une maison entière de six pièces avec cave, grenier et petit jardin. L’ambition de M. Herzog était d’apprendre à ses ouvriers le goût de l’épargne et d’apprécier son chez-soi en désertant surtout les « cafés » qui faisaient les malheurs dans de nombreuses familles.

La guerre de 1870 éloigna Antoine Herzog, mais dès 1871 il revient pour fonder une caisse de prévoyance contre les accidents, une caisse de secours en cas de maladie et une retraite pour les invalides Les malades étaient soignés gratuitement dans un hôpital privé fondé en 1871 au centre de Logelbach. C’est l’épouse d’Antoine, Ernestine née Kohler, qui s’occupait personnellement de cet hôpital, secondée par deux religieuses de Niederbronn. Toutes ces actions démontrent le caractère philanthropique de ce chef d’entreprise

4) L’activité parisienne

La guerre de 1870 devait éloigner provisoirement Antoine Herzog de Logelbach, mais à Paris il n’est pas resté inactif. Il a ainsi transformé tout un quartier des plus vilains de Paris en créant une société immobilière et en laissant dans ce 17ème arrondissement le nom d’une rue de Logelbach.

5) Son activité pour notre Chapelle

Pour bien comprendre l’œuvre d'Antoine Herzog dans ce domaine, il faut se référer aux dates et aux événements. L’idée de la construction de la chapelle est née de la condition qu’en avait faite le Pape de l’époque lorsque son frère Eugène va demander l’autorisation à Rome de pouvoir célébrer la messe au domicile du père. Le père, convaincu par cette condition, fit édifier cette chapelle dont il ne verra jamais l’inauguration puisqu’il décède le 5 novembre 1861 avant qu’elle n’ait été consacrée en décembre 1862. Mais construire une chapelle n’exigeait peut-être pas que fut construite ce qui est presqu’une cathédrale et qui fait sa magnificence.

Eugène devait décéder déjà en 1858 mais celui-ci laisse une veuve Caroline née Kohler, soeur d’Ernestine. Celle-ci sera l’instigatrice de tout ce qui sera réalisé après son inauguration dans la chapelle : l’achat d’un orgue en 1874, la construction d’une sacristie en 1886 et de la crypte en 1898.
Antoine a toujours pourvu au défraiement du prêtre qui venait célébrer les cultes dans cette chapelle, il a veillé à son entretien et est allé jusqu’à l’ouvrir à ses ouvriers et c’est lui qui a insufflé l’idée que cette chapelle soit transmise à l’Eglise par ses héritiers ce qui s’est réalisé en 1926.

Conclusion

Cet Antoine Herzog aura laissé un grand héritage et entre autre, dès 1868, il rachète une entreprise Barth qui deviendra la grande usine de la Bagatelle. En 1876 il crée la filature du Moulin à Colmar, prend des intérêts dans de nombreuses entreprises qu’il encourage financièrement, fait construire à titre privé plusieurs belles demeures en bord de Fecht pour loger ses proches, un magnifique chalet sur les hauteurs du Letzenberg et surtout une chapelle sur le sommet du Letzenberg. Cette chapelle dédiée à Saint Antoine du désert fut détruite ainsi que le chalet par les allemands dès le début du premier conflit mondial au motif que ces constructions occupaient toutes deux des situations privilégiées sur les hauteurs de Colmar, cela pouvait tenter des résistants voire des ennemis pour menacer ainsi la ville.

Il termine sa vie le 11 avril 1892 à Logelbach. Il est enterré au cimetière de Wintzenheim parce que l’érection du cimetière de Logelbach date du 4 décembre 1893 et la construction de la crypte derrière la Chapelle Herzog de 1898.

Son entreprise comprenait à ce moment cinq usines et comptait près de 3000 employés, ce fût un grand chef d’entreprise animé d’une vitalité hors du commun, qui pendant trente années a su développer son activité dans le respect de ses ouvriers. Il a tout fait ce qu’il pensait être possible pour permettre à ce prolétariat d’envisager une ascension sociale. Sa vie privée aura été consacrée à sa famille, sa fille Marie devait donné naissance à un fils Emmanuel Fauconneau Dufresne qui sera l’un des dirigeants de l’entreprise après son décès . Sa passion était la peinture, il avait pour ami le célèbre peintre haut-rhinois J. Jacques Henner dont il possédait de nombreuses toiles.

Dans l’ombre de son prestigieux père, qui efface par son charisme toute la famille, il n’était peut-être pas inutile de se pencher sur la vie de ce fils industriel qualifié par ses paires comme le meilleur chef d’entreprise alsacien de la fin du XIXème siècle, et dans une époque actuelle où l’on connait la Sécurité sociale, les allocations familiales et les sociétés d’HLM, il convenait de saluer le travail réalisé par cet homme pour améliorer le sort peu enviable de ceux qui étaient à l’époque de vrais prolétaires. Il avait devancé son temps et réalisé déjà en partie ce qui est abouti aujourd’hui. D’autres chefs d’entreprises de cette époque ont essayé d’en faire autant afin d’améliorer et donner un sens à l’esprit paternaliste que pouvaient avoir les dirigeants de cette fin du XIXème siècle.

Ainsi se termine cet aperçu de la vie d’un des piliers de cette famille Herzog qui, pendant trente années, a mis en œuvre une activité hors du commun qui a permis à l’entreprise créée par son père, de continuer son développement.

Mario Ossola, conférence du 4 novembre 2022


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