Paul-André Cattin s’est engagé dans une recherche en vue de faire connaître l’histoire de la famille Herzog,
fondatrice, au XIXème siècle, d’un empire industriel textile au Logelbach. Emmanuel Rougier, descendant d'Antoine Herzog,
a accepté de collaborer à ce travail, notamment dans deux domaines : la généalogie et les descendants de la famille Herzog ainsi que l’œuvre
d’Antoine Herzog à Paris. Ensemble ils avaient même projeté une éventuelle synthèse, encore plus riche, de leurs recherches dans le cadre de l’édition d’un ouvrage spécifique.
A l’occasion du décès de Paul-André Cattin, Emmanuel Rougier a proposé, en signe d’hommage personnel à son ami, de publier, dans le cadre de notre annuaire,
les pages relatant l’œuvre d’Antoine Herzog à Paris après son départ de l’Alsace annexée par l’Allemagne qu’il avait destinées à cet ouvrage.
C’est là le chapitre qui manquait. Merci à Emmanuel Rougier.
Gérard LINCKS
***
Après la guerre de 1870 et les profonds bouleversements qui en furent la conséquence, l’Alsace étant devenue allemande, Antoine Herzog s’installa à Paris.
Pendant que Charles Grad se battait en Alsace pour défendre les intérêts de la famille Herzog, et notamment ceux de son dirigeant, les Allemands ayant envisagé d’abord de l’expulser d’Alsace, comme le fut son gendre Émile Fauconneau-Dufresne, considéré comme « ennemi de la Prusse », Antoine Herzog fit à Paris diverses acquisitions immobilières : sa résidence et celle de sa fille, des immeubles de rapport, et des terrains destinés à effectuer un projet immobilier d’envergure par la « Compagnie Immobilière de la Plaine Monceau » dont il fut le fondateur. Il fit l’acquisition à Neuilly et Levallois-Perret de terrains situés sur l’île de la Grande Jatte dont il posséda presque la moitié, et fonda la « Société foncière de Levallois-Perret », développant ainsi ses activités de promotion immobilière.
Antoine Herzog acheta le 4 mai 1872 pour un prix de 450.000 francs un vaste hôtel particulier
situé 6 rue Murillo, avec façade et jardin donnant sur le parc Monceau.
Bâtie en 1869 par l’architecte Tronquois sur un terrain acheté par le précédent propriétaire à
la famille Pereire en 1867, cette maison qui existe toujours, était
construite en briques et en pierres de taille, élevée sur sous-sol, d’un
rez-de-chaussée et de trois étages carrés, le quatrième légèrement mansardé,
entre cour et jardin, avec façade sur le parc Monceau, et retour en aile
dans la cour à gauche. La surface au sol de la maison était de 283 m2, celle
du pavillon du concierge de 19 m2.
Desservi par une porte cochère et une porte simple, l’hôtel donnait sur une cour avec un pavillon
pour le concierge à droite de la porte, et deux écuries pour deux chevaux chacune.
Au rez-de-chaussée, un vestibule donnait accès à une salle de billard et un bureau sur cour, à une
bibliothèque et à un vaste salon donnant sur le parc Monceau, ainsi qu’à
d’autres pièces, cuisines, office, et cabinet de toilettes.
L’escalier principal donnait accès à un palier desservant l’antichambre du premier étage, une
salle à manger, cinq chambres dont trois donnant sur le parc Monceau, et
deux côté rue Murillo, un bureau, cabinet de toilette, salle de bains,
« aisances », et au bout d’un couloir, la cuisine et l’office.
Le second étage comportait le même plan, avec une pièce en moins, le troisième également, et
le quatrième était distribué autrement, avec un salon, une salle à manger,
une « pièce à feu » (pièce
équipée d'un foyer ou cheminée), un atelier, un bureau, une cuisine, et six chambres de service.
Si Antoine et Ernestine Herzog ont habité le rez-de-chaussée et le premier étage, ils semblent avoir
mis à la disposition de leurs enfants Fauconneau-Dufresne les autres étages
jusqu’en 1877, année de l’installation à Paris de ces derniers, ainsi qu’à d’autres membres de la famille.
L’importance de cet hôtel particulier dont la surface habitable totale devait dépasser les 1200
m² leur permettait facilement de rendre ces services ! Antoine Herzog vendit
cette maison 525.000 francs le 24 février 1886, elle existe toujours
aujourd’hui, divisée en appartements, et porte désormais le numéro 8.
Façade rue Murillo | Façade sur le parc Monceau |
Hôtel Herzog, 6 rue Murillo à Paris VIIIème (photos Emmanuel Rougier)
Le 31 juillet 1877, il acheta pour un prix de 500.859 francs les terrains et maisons des 48
boulevard de Courcelles et 1 rue Legendre destinés à loger son gendre et sa
fille M. et Mme Émile Fauconneau-Dufresne et leurs six enfants : il
s’agissait d’une propriété située en face du parc Monceau, érigée sur un
terrain de 1200 m2 provenant à l’origine de la famille Pereire,
vis à vis mais légèrement à droite de la rotonde de Ledoux, et bâtie en 1871
par M. André-Édouard Dervieu, banquier à Paris, qui la vendit à Antoine Herzog.
Un hôtel particulier situé à l’angle du boulevard de Courcelles et de la rue Legendre, dont la
façade légèrement circulaire, en forme de rotonde, avait sept fenêtres par
étage en façade, donnant rue Legendre et boulevard de Courcelles en
constituait la maison principale. Le cadastre de la ville de Paris précise
que « cette maison était élevée sur caves et sous-sol, et possédait un
rez-de-chaussée et deux étages carrés, desservie par un grand escalier et un
escalier de service, et qu’il s’agissait d’une belle construction très
solide, en pierre de taille, moellons, briques, couverte en ardoises, avec
un intérieur décoré et très soigné ».
On y accédait par deux portes cochères
et une porte simple, avec à l’entrée de la cour l’habitation du concierge,
l’accès à un sous-sol où se trouvaient cuisine, laverie, buanderie-office,
couloir, lieux et débarras. Au rez-de-chaussée, la porte principale située
sous une marquise donnait sur une entrée d’où partait un petit escalier de
douze marches donnant accès à un vestibule desservant un cabinet de travail,
un grand salon en rotonde et un autre salon, une serre servant de salle de
billard, et une salle à manger, elle-même proche d’un office, d’un cabinet
de toilettes et d’une chambre de service.
Un grand escalier donnait accès au premier étage, un palier desservant une antichambre,
quatre chambres dont l’une en rotonde, une salle de bains, et deux cabinets de
toilette, et autres « lieux ».
De ce palier, un escalier accédait au second étage, d’abord à une grande antichambre
desservant six chambres de taille diverse, l’une faisant office de cabinet
de travail, l’autre encore en rotonde de dortoir, et à divers cabinets de
toilette, lieux et débarras, ainsi qu’à un réservoir. Remises et écuries
étaient accessibles par une entrée au 1 rue Legendre.
C’est dans ce cadre que vécurent Émile et Marie Fauconneau-Dufresne avec leurs enfants,
et c’est là qu’eurent lieu les soirées de contrat et réceptions de mariage de leurs
filles aînées, Marguerite avec un jeune magistrat René Petit, et Madeleine
avec le lieutenant Stanislas Rougier. En 1891, ils quittèrent cette maison
pour aller habiter 4 avenue de l’Alma (actuelle avenue Georges V).
Antoine Herzog vendit pour une somme de 565.200 francs l’hôtel du 48 boulevard de Courcelles le 2
mars 1892 à Maurice Jean-Baptiste Cottreau qui le fit démolir, et construire
à sa place un grand immeuble en pierre de taille qui existe toujours, du
même style que celui qui avait été édifié par la Compagnie des Immeubles de
la Plaine Monceau au 50 boulevard de Courcelles, à l’angle des rues Georges
Berger, place de la république Dominicaine, et rue de Thann. Cette
construction acheva de donner à ce lieu le caractère homogène actuel de cet
ensemble « haussmannien ».
Le 1er juillet 1880, il mettra en location un hôtel particulier situé 223 boulevard Pereire qu’il
avait acheté 55.000 francs, le 28 décembre 1875 à M. Fernand Pelez, artiste
peintre ; cet hôtel fut loué à M. et Mme Jean-Édouard de Coppet pour 6000
francs de loyer annuel.
Cet hôtel fut vendu 90.000 francs, le 4 décembre 1891 à sa locataire Mme Jean-Édouard de Coppet et
semble être resté de nos jours propriété de ses descendants. L’acte de vente
précise que l’hôtel est vendu avec « les objets et immeubles par destination
qu’elle peut renfermer, exception faite des deux statues en marbre
représentant Joséphine, qui figurent de chaque côté de la porte d’entrée ».
Le 1er mars 1879, il mettra en location un terrain situé à l’angle de la place Malesherbes de 421
m2 loué pour 2 ans pour 4500 francs de loyer annuel. Ce terrain
restera sa propriété lors de la construction des immeubles dont il sera
question plus loin, et sera cédé plus tard.
En 1882, il fait construire par l’architecte Émile Leménil qui sera son associé dans la
constitution de la « Compagnie des Immeubles de la plaine Monceau », un
ensemble de logements pour palefreniers et cochers, écuries avec 8 stalles
et deux boxes, remises pour 8 voitures surmontées de greniers à fourrage et
pavillons de piqueur, sur ses terrains du 18 rue de Prony.
Cet ensemble immobilier destiné à loger une importante écurie et son personnel, fera l’objet d’une
notice dans La semaine des constructeurs et sera loué au prince Lubormiski moyennant un loyer
annuel de 6000 francs.
Resté propriété d’Antoine Herzog jusqu’à sa mort, cet immeuble sera vendu par sa fille Marie Fauconneau-Dufresne entre 1893 et 1900.
Rapidement, Antoine Herzog allait contribuer à l’urbanisation de la plaine Monceau en
participant au processus enclenché dès le Second Empire sous les auspices du baron Haussmann.
La plaine Monceau avait en effet été objet de spéculation dès cette époque, comme le souligne un
extrait du livre « Des Ternes aux Batignolles » publié en 1986 par la mairie
du XVIIème et le musée Carnavalet » : « ...en août 1861, on pouvait lire dans
« L’Illustration », au moment de l’inauguration du boulevard Malesherbes : « Si l’on vous demande où mène la
grandiose avenue qui a été inaugurée la semaine dernière, répondez
hardiment : à West End. Il fallait baptiser cette ville de palais que nous
bâtit M. Pereire du côté de Courcelles.»
Conjointement aux frères Pereire, les membres des familles d’Offémont et de Chazelles,
héritières de Lavoisier, étaient les plus anciens propriétaires de la plaine
Monceau. Plusieurs notaires avaient investi dans les champs et les prés en
attente d’une prochaine urbanisation : Riant, Ancelle, et surtout Deguingand
qui acheta le domaine du château de Monceau (près de 4 ha à un peu plus de
10 centimes le mètre-carré). Il se constituait ainsi une véritable fortune
fondée sur la spéculation pour lui, sa femme et ses héritiers (à sa mort en
1867, il laissa un patrimoine regroupant plus de 10 ha à 200 francs le
mètre-carré).
Les Pereire firent leurs premières acquisitions en 1852. Concessionnaires du chemin de fer de
ceinture, ils achetèrent du terrain pour y implanter les voies et aussi pour
leur propre compte. Ils imaginaient bien qu’à l’avenir, ces terrains de
l’ouest parisien, à quelques minutes du centre de Paris, ne resteraient pas
longtemps vierges de toute construction.
Assez facilement, les propriétaires acceptèrent de céder gratuitement quelques terrains à
Haussmann ; Deguingand se défit d’une partie de son parc pour la
construction de la place Malesherbes qui possède encore aujourd’hui quelques
arbres d’origine.
La construction de ces boulevards, de ces avenues, de ces rues, présageait un futur enrichissement
de leur capital qui semblait dormir mais ne se dépréciait pas, bien au
contraire. Les premières voies tracées au milieu des terrains vagues, ce ne
furent que discussions entre les propriétaires qui s’échangeaient des
parcelles pour mieux lotir leurs terrains.
Jusqu’en 1870, il ne fut guère possible de bâtir car beaucoup d’emplacements étaient occupés par
des entrepôts. Ainsi, place Malesherbes, s’amoncelaient les pavés
nécessaires aux grands boulevards du Paris haussmannien.
L’urbanisation de la plaine Monceau s’effectua entre 1875 et 1895. Souvent, lors de grands
programmes de lotissements, des rues entières furent tracées et réalisées.
En 1874, un nouveau spéculateur entra en scène : Antoine Herzog, alsacien d’origine, qui acheta
1,4 ha entre le parc Monceau et la place Malesherbes...
C’est en effet dans ce contexte qu’Antoine Herzog allait acquérir progressivement un grand nombre
de terrains : en 1874, il commença par acheter à Émile Pereire un terrain de
235,73 m² rue de Prony.
1878 semble avoir été l’année des acquisitions les plus importantes, car Antoine Herzog achète le
27 avril de cette année à Louis-Godefroy Jadin, l’un des grands spéculateurs
de la plaine Monceau, un ensemble de terrains sis entre la place Malesherbes
et la rue de Prony. Ce même jour, il procède à divers échanges de terrains
avec Madame Deguingand.
Il avait entre-temps donné procuration à son neveu Jean Maritz pour que ce dernier procède à
l’acquisition de terrains pour son compte à Paris.
Les 29 et 30 juillet 1878, il achète plusieurs terrains et maisons situés 32 boulevard de
Courcelles et 125-127 boulevard Malesherbes à M. Louis-Gustave
Clerginet-Ruelle moyennant 650.000 francs
En novembre 1878, il achète plusieurs terrains et immeubles rue d’Offémont à
Édouard Napoléon Tremblaire, et c’est à cette même époque qu’il devient propriétaire de la
totalité de l’impasse de Chazelles, avec ses terrains et immeubles bâtis,
possédée auparavant par Jean-Prudent Quesnot. Cette rue, située alors en
parallèle de l’actuelle rue Henri Rochefort, qui devait prolonger la rue de
Chazelles, était composée d’une trentaine de maisons pour la plupart « de
construction légère en pans de bois et plâtras » dont certaines étaient
décrites à l’époque comme « de mauvaise construction et de pauvre
apparence ». Il s’agissait de boutiques, débits d’eau de vie, hangars,
garnis, remises, et autres habitations modestes, assez caractéristiques de
ce quartier à l’époque, dont certaines commencèrent à être démolies dès
1876. Cette impasse disparut complètement dans le contexte de la refonte du
quartier qui allait survenir.
Situation des terrains dans le 8ème arrondissement de Paris
(Michelin – Plan de Paris)
Finalement, au moyen d’acquisitions multiples, Antoine Herzog finit par devenir propriétaire d’un
nombre considérable de parcelles situées dans le quadrilatère formé de nos
jours entre le boulevard Malesherbes et le boulevard de Courcelles, par les
rue Georges Berger, place de la République Dominicaine (située en bordure de
l’emplacement de l’hôtel particulier habité par sa fille Mme Émile
Fauconneau-Dufresne), rue de Prony, rue Henri Rochefort, et la partie de la
place du général Catroux qui longe le boulevard Malesherbes. Les autres
parcelles situées dans ce même quadrilatère appartenaient à Madame Deguingand, et se trouvaient à plusieurs endroits complètement imbriquées
dans celles d’Antoine Herzog.
Par contrat du 27 avril 1878 passé devant Maîtres Delapalme et Sabot, notaires à Paris, Jean Maritz
pour le compte d’Antoine Herzog, et Charles-Edgar de La Motte pour celui de
Madame Deguingand, avaient procédé à plusieurs échanges de terrains pour
permettre à chacun des propriétaires de détenir des parcelles bien
distinctes et susceptibles d’être en bordure des futures rues, le sol de ces
dernières appartenant « à chacune des parties jusqu’à moitié de leur largeur
aux droits de leurs façades sur les dites rues, celui de la petite place à
l’entrée du boulevard de Courcelles, appartiendra à chacune des parties dans
la proportion des façades sur la dite place...».
Entre 1872 et 1879, les propriétés immobilières d’Antoine Herzog à Paris sont donc considérables, et
au-delà de celle de son domicile du 6 rue Murillo, de l’hôtel particulier du
48 boulevard de Courcelles destiné à loger sa fille, des immeubles de
rapport du boulevard Pereire et du 18 rue de Prony, ces acquisitions vont
s’inscrire dans un projet immobilier de vaste envergure : l’ouverture de
trois rues et le lotissement de tout un nouveau quartier de Paris.
Projet des nouvelles rues porté sur le plan cadastral
(Archives de la ville de Paris - Photo Emmanuel Rougier)
C’est en 1877 qu’Antoine Herzog entreprit de faire construire trois rues et de lotir un
nouveau quartier sur ses terrains et ceux de Mme Deguingand.
A cette époque, seules étaient tracées les rues Legendre, de Prony, d’Offémont (aujourd’hui Henri
Rochefort) et l’impasse de Chazelles destinée à disparaître.
Un rapport du 12 octobre 1877 de la direction des travaux de Paris (Ponts et Chaussées) donne
quelques précisions sur ce projet :
«...trois voies nouvelles seraient ouvertes vers le mois d’avril prochain entre le
boulevard de Courcelles et la place Malesherbes et la rue d’Offémont (le
plan ci-joint indique l’emplacement exact de ces voies et leurs largeurs) On
voit que ces voies traverseront l’impasse Chazelles, et à cet effet tous les
bâtiments qui la composent de B en C doivent être démolis pour le 1er avril.
M. Herzog, propriétaire de la zone de terrains dans laquelle est comprise
cette impasse, a donné congé à tous les locataires qui doivent avoir
abandonné les lieux au commencement de janvier prochain. Les locataires de
l’immeuble situé en A sur le Bd de Courcelles appartenant à Mme Vve
Deguingand, lequel se trouve à la naissance de ces voies, ont également reçu
leurs congés.
Enfin, d’après ce que nous ont déclaré les
propriétaires intéressés à l’ouverture de ces voies, les travaux de
viabilité seront entrepris dès le printemps. »
Le plan du projet
(Archives ville de Paris - Photo Emmanuel Rougier)
Au tout début de l’année 1878, Antoine Herzog fit part de son projet au préfet de la Seine par un courrier non daté mais reçu le 14 janvier 1878 :
« Monsieur le Préfet,
Propriétaire de terrains situés à Paris
boulevard de Courcelles et place Malesherbes et d’accord avec Madame
Deguingand propriétaire de divers autres terrains dans le même quartier,
j’ai le projet d’ouvrir sur l’ensemble de ces terrains trois rues dont l’une
de 16 mètres de large allant de la rotonde du Parc Monceau à l’angle formé
par la place Malesherbes et la rue d’Offémont, lesquelles voies sont
figurées sur le plan ci-joint.
L’exécution de ce projet nécessiterait,
indépendamment de l’abandon du terrain, la démolition d’une maison située
boulevard de Courcelles n° 50, d’un produit de dix mille francs, et d’une
valeur de 160.000 francs, en saillie d’environ 7 mètres sur le boulevard de
Courcelles dont elle détruit l’alignement juste en face de la rotonde du
parc Monceau.
En présence de la dépense qu’occasionnerait
la mise en état de viabilité de ces trois voies, il y a quelques hésitations
à faire les travaux immédiatement, notamment à démolir de suite la dite
maison.
Dans cette situation, et en présence des
avantages résultant pour le quartier de l’ouverture des trois nouvelles rues
qui devront être considérées comme d’intérêt général, notamment celle de 16
mètres de largeur, permettez-moi Monsieur le Préfet de venir solliciter le
concours de la ville de Paris
pour faciliter l’exécution immédiate de tous les travaux : je demanderais
Monsieur le Préfet, d’être indemnisé de la valeur vénale de la maison dont
la démolition est obligatoire même pour la ville de Paris, dans un délai
rapproché, en raison de son avancement sur la voie publique, m’engageant
tant en mon nom qu’au nom de Madame Deguingand à céder gratuitement à la
ville de Paris le sol de notre propriété exclusive d’un bout à l’autre.
Je m’engage à faire exécuter dans le courant
de l’année 1878 à mes frais tous les travaux de viabilité, d’assainissement,
d’égout, de conduites d’eau et d’appareils d’éclairage nécessaires à ces
travaux conformément à mes projets, qui seraient dressés par les agents du
service municipal, à leurs instructions sur la fourniture et l’emploi de
matériaux et aux prescriptions qui nous seraient imposées par eux.
Je m’engage à payer les frais de
surveillance et les honoraires réglés par la ville pour ses agents, et à
charger les entrepreneurs mêmes de la ville d’exécuter les travaux de
bitumage des trottoirs, des fournitures pour les candélabres, de conduites
d’eau et de fontaines ; et s’ils refusaient, je m’engage à déposer d’avance
les sommes nécessaires aux travaux, en demandant à la ville de vouloir bien
se charger de les faire exécuter.
Nous demandons en échange que la ville veuille bien classer ces voies et les recevoir.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Antoine Herzog
6 rue Murillo »
La réaction à ce courrier fut rapide, car il donna lieu à un rapport de la direction des travaux de Paris, Service de la Voie publique, 2ème direction, 7ème section, rendu le 16 janvier 1878 :
« Par une lettre à M. le Préfet sans date, M. Herzog demeurant 6 rue Murillo, demande en son nom
et au nom de Mme Deguingand, l’ouverture de trois voies nouvelles, l’une de
16 mètres et les deux autres de 12, partant du boulevard de Courcelles pour
se diriger, la première vers l’avenue de Villiers et les deux autres l’une
vers la rue d’Offémont, l’autre vers la place Malesherbes, conformément au
plan annexé à la présente.
M. Herzog s’engage, tant en son nom qu’en celui de Mme Deguingand, à toutes les conditions
imposées aux propriétaires qui veulent ouvrir des voies sur leurs terrains
et les faire recevoir et classer aussitôt après. Toutefois, il met à cet
engagement une condition spéciale ; l’acquisition par la ville au prix de
160.000 francs d’une maison placée au débouché de la rue de 16 mètres : en
façade sur le boulevard de Courcelles et en saillie de 7 mètres sur
l’alignement de ce boulevard.
L’acquisition de cet immeuble serait une contribution déguisée dans l’exécution de ce réseau de
voies. Elle ne se justifierait que par un certain caractère d’utilité
publique dans ces percements.
Des trois voies en question, une seule présente à notre avis ce caractère, la médiane de 16
mètres de largeur. Les deux voies de 12 mètres semblent surtout des voies
d’intérêt privé, destinées à mettre en valeur des terrains au même titre que
la rue d’Offémont, la rue Fortuny et plusieurs autres ouvertes dans le
voisinage. La rue de 16 mètres au contraire, traversant en diagonale un
grand quadrilatère encore non percé, établit une communication directe et
utile entre le parc Monceau et l’origine de l’avenue de Villiers.
L’inspection du plan général de cette région le montre avec évidence. Son
tracé est à peu près commandé par la convenance de placer son origine en
face de la rotonde et à peu près à égale distance du débouché des rues
Legendre et de Prony.
L’enlèvement de la maison ci-dessus désignée est donc inévitable. Si la ville, comme opération
de voirie, voulait ouvrir elle-même cette rue, il faudrait qu’elle commençât
par acheter cet immeuble et en outre qu’elle acquît sans recouvrement
les terrains formant l’assiette de la voie, fît l’égout et établisse
l’éclairage (la viabilité est recouvrée sur les riverains). La dépense de ces
opérations en estimant le terrain à 50 francs le mètre carré, serait
supérieur à l’acquisition de la maison : c’est donc en quelque sorte une
contribution de moins de moitié que M. Herzog demande à la ville, dans
l’ouverture de la voie de 16 mètres. Il faut ajouter que la saillie de cet
immeuble sur le boulevard de Courcelles est fort gênante et justifierait à
elle seule une proposition d’acquisition.
Le prix de 160.000
francs pour un loyer de 10.000 nous paraît assez élevé. Il nous semble que
la servitude d’alignement qui frappe d’une manière si grave cet immeuble et
n’atteint pas sa valeur locative, doit modifier d’une manière notable sa
valeur foncière et la faire descendre au-dessous d’une telle proportion avec
le loyer.
En résumé, M. Herzog offre à la ville de lui livrer trois rues, dont une seule d’un intérêt
public incontestable, il demande en échange l’acquisition d’un immeuble dont
l’enlèvement est nécessaire au débouché de la rue d’intérêt public, non
moins qu’à l’alignement du boulevard de Courcelles. Cette double opportunité
nous fait incliner à proposer l’adoption des offres de M. Herzog ou du moins
à proposer de lui payer une partie, sinon la totalité de cet immeuble.
Il faudrait exiger que le débouché des trois voies sur le boulevard de Courcelles fût moins étroit
que le plan ne le représente, n’offrît pas un étranglement fâcheux et fût
compris entre deux parallèles à 25 mètres de distance.
Paris, le 16 janvier 1878. »
Suit l’avis de l’ingénieur en chef qui traite en particulier la question de la maison en saillie sur le boulevard de Courcelles. (note 1)
Parallèlement, Antoine Herzog avait écrit le 11 janvier 1878 à M. Alphan, ingénieur en chef des travaux de Paris :
« J’ai déjà eu l’honneur de vous entretenir
de l’ouverture des trois rues qui fait l’objet de ma demande adressée à M. le préfet de la Seine.
Etant d’accord avec mes copropriétaires, nous
pourrions pousser rapidement à l’avancement des travaux, pour cette raison
je vous adresse directement la demande dans l’espoir d’arriver plus
rapidement.
Si ma demande de concours pour la maison à
démolir pouvait donner lieu à de longs délais, je vous prierais, monsieur,
d’autoriser les ingénieurs à me donner l’alignement des deux rues de douze
mètres, nous pourrions immédiatement commencer les travaux de viabilité et
donner lieu à de nombreuses constructions… »
Des contacts furent pris suite à ces différents courriers, et un traité fut signé entre « la
ville de Paris, Antoine Herzog et Mme Deguingand, confirmant la cession de
trois rues et d’un carrefour établis par ces propriétaires sur leurs
terrains, dans le dix-septième arrondissement...».
Le don du terrain correspondant aux futures rues et le projet de leur ouverture ayant fait
l’objet du traité précité passé entre la ville de Paris, Mme Deguingand et
Antoine Herzog furent validés lors d’une séance du conseil municipal du 4 mai 1878 :
« Le conseil,
Vu le mémoire en date
du 21 février 1878, par lequel M. le Préfet de la Seine lui soumet une
demande du sr Herzog tendant à obtenir :
1° Le classement de
trois voies nouvelles qu’il se propose d’ouvrir avec Mme Deguingamp (sic)
sur des terrains leur appartenant, entre le boulevard de Courcelles et la
place Malesherbes.
2° La participation de
la ville à la dépense de l’opération dans la limite du prix d’acquisition de
l’immeuble de Mme Deguingamp, situé boulevard de Courcelles et nécessaire au
projet ;
Vu le plan annexé à la dite demande ;
Vu le rapport de l’ingénieur en chef de la deuxième division,
Délibère :
Art.1er : Il y a lieu d’accueillir la proposition de M. Herzog,
es nom qu’il agit, mais à la condition :
1°- Que la part
contributive de la ville de Paris dans les dépenses de l’opération sera
réduite à vingt-mille francs (20.000 Francs),
2°- Que M. Herzog
consentira à la modification des alignements indiqués par un tracé au crayon
rouge au plan sus visé au carrefour formé au débouché des voies projetées
sur le boulevard de Courcelles.
En conséquence, M. le Préfet de la Seine est autorisé :
1°- A traiter avec M.
Herzog et consorts, aux conditions indiquées, et en outre, sous toutes les
clauses et conditions mentionnées dans le mémoire et la demande sus visée.
2°- A poursuivre
ensuite auprès de l’autorité supérieure les classements des voies dont il s’agit.
Art.2 : La dépense de
20.000 francs sera imputée sur le chap.14, §2, art.11 (Indemnités pour mise à l’alignement).
Art.3 : La rue allant
du boulevard de Courcelles à l’angle formé par la place Malesherbes et la
rue d’Offémont sera dénommée rue de Phalsbourg.
Art.4 : La rue allant de la rue précédemment dénommée de Phalsbourg à la
rue d’Offémont, sera dénommée rue de Laugelbach (sic).
Art.5 : la rue allant
de la précédemment dénommée de Phalsbourg à la place Malesherbes, sera
dénommée rue de Thann.
Signé au Registre : Hérisson, président, Hassat, Grimaud, secrétaires. »
Le 22 juin 1878, Antoine Herzog envoyait un autre courrier :
« Monsieur le Préfet,
Par votre lettre du 31 mai, vous voulez bien
m’annoncer le résultat de la délibération du conseil municipal en date du 11
mai, relative à la demande d’ouverture et classement de trois voies
nouvelles, entre le boulevard de Courcelles et la place Malesherbes, demande
faite en mon nom et en celui de Madame Deguingand.
J’ai l’honneur de vous informer que nous
acceptons les conditions fixées par le conseil municipal et mentionnées dans
votre lettre.
J’aurais toutefois une nouvelle demande à
vous adresser : nous désirerions obtenir des voies macadamisées. J’espère
que vous voudrez bien accueillir cette demande, c’est presque indispensable
dans ce quartier essentiellement riche, auquel nous voulons maintenir ce
caractère et par les constructions qu’on y fera et par l’interdiction de
toute industrie bruyante ou incommode. Le pavé serait trop bruyant et
beaucoup plus dangereux pour les cavaliers et chevaux. Quant à
l’administration, elle n’en pourrait souffrir qu’au point de vue de
l’entretien ; or, par la nature même du quartier et par la situation des
rues, il est certain que ces dernières ne seront suivies que par des
voitures légères occasionnant très peu de frais d’entretien.
Je profite de cette occasion pour porter
votre attention sur l’orthographe de la rue de Logelbach que par erreur on a
écrit Laugenbach ; le rapport accepté avait bien indiqué Logelbach. Veuillez
avoir l’obligeance de faire rectifier cette erreur.
Dans l’attente d’une réponse favorable, j’ai
l’honneur, Monsieur le Préfet, de vous présenter l’assurance de ma
considération la plus distinguée.
Antoine Herzog
Rue Murillo, 6 »
Sans attendre la fin de
la procédure administrative qui achèverait le classement des trois voies, la
préparation des travaux est lancée : un rapport de l’ingénieur en chef
de la ville de Paris en date du 9 juillet 1878 propose d’adopter pour la rue
de Phalsbourg de 16 mètres de largeur, une chaussée mixte composée d’un
empierrement central de 5,00 mètres compris entre deux revers pavés de 2,30
mètres de largeur chacun, et de construire la chaussée des rues de Thann et Logelbach, rues de 12 mètres de largeur, entièrement en pavés. Cette
proposition est approuvée par le directeur le 13 juillet 1878.
Les projets de travaux
de viabilité et d’égouts sont alors dressés selon ces dispositions, et
transmis au directeur le 15 novembre 1878, qui les approuve aussi ; les
dépenses sont alors évaluées : 134.000 francs pour les terrassements,
pavages, empierrement et trottoirs, 51.500 pour les égouts.
Un arrêté du 16 janvier 1879 conclut la viabilité du projet (note 2).
Lorsque la question du
nom de ces rues se posa, il avait d’abord été proposé à Antoine Herzog de
donner son propre nom à l’une de ces rues, comme ce fut le cas pour
plusieurs des propriétaires de la plaine Monceau (Chazelles, Jadin,
Offémont,...), et de choisir le nom des deux autres mais il déclina la
première proposition, acceptant en revanche la seconde et préférant donner à
ces lieux des noms de villes d’Alsace dont le Logelbach.
Au-delà de
l’attachement évident d’Antoine Herzog pour sa province d’origine, une telle
décision n’était pas neutre dans le contexte de l’époque, car compte tenu de
la germanisation de l’Alsace depuis 1870, ces villes étaient désormais
situées en Allemagne.
La question des noms de
ces futures rues donna lieu à des querelles d’ordre administratif, car le
conseil municipal dans ses délibérations avait accepté les propositions
d’Antoine Herzog, considérant la décision comme prise, ce qui froissa les
services de la préfecture selon lesquels la dénomination des voies relevait
d’une décision préfectorale et pas municipale… Cette position semble en
effet avoir été confirmée par la doctrine et la jurisprudence rappelée
alors. Finalement, la décision préfectorale, après avoir rappelé et confirmé
l’étendue de ses prérogatives, confirma les décisions de la municipalité.
Les travaux sont alors
exécutés sous la direction des ingénieurs du service municipal et par un
entrepreneur du choix de la société ; ils étaient terminés le 21 juin 1879,
sauf le bitumage. En revanche, les rues n’étaient pas encore livrées à cette
date, parce qu’elles étaient « encombrées par les matériaux employés
aux constructions qu’on élève en bordure. ». En outre, un arrêté du 17 avril
1879 a approuvé les travaux d’éclairage évalués à 10.200 francs.
Désormais, les conditions sont réunies pour lotir ces terrains et construire un nouveau quartier résidentiel de Paris.
L’ensemble des trois rues vu depuis la rotonde du parc Monceau.
rue de Logelbach | rue de Phalsbourg | rue de Thann |
(photos Emmanuel Rougier)
La rue de Logelbach, Paris 17ème
Les beaux immeubles et le parc Monceau au fond
(photo Emmanuel Rougier)
En octobre 1878,
Antoine Herzog va prendre l’initiative de créer la « Compagnie des Immeubles
de la plaine Monceau » : le 9 octobre, les statuts de la compagnie sont
déposés chez Maître Delapalme, notaire des familles Herzog et Fauconneau-Dufresne à Paris ; ce même jour, il est aussi procédé à la déclaration par
les fondateurs de la souscription des actions et du versement du quart du
capital, suivie de la liste des souscripteurs, et enfin, un acte passé
devant le même notaire le 16 du même mois établit les deux délibérations
prises les 9 et 16 octobre, aux fins de constitution définitive de la
société.
Le 2 novembre 1878,
l’ensemble de ces pièces font l’objet d’un enregistrement qui consacre
l’existence désormais officielle de la « Compagnie des Immeubles de la
plaine Monceau » qui aura plus tard son siège social 50 boulevard de
Courcelles, dans un des premiers immeubles qu’elle aura construit, en face
de la rotonde du parc Monceau, à côté de l’hôtel particulier habité par
Émile et Marie Fauconneau-Dufresne.
La société a pour objet :
« L’édification de
maisons d’habitation et autres constructions sur tous terrains et notamment
ceux qui lui seront apportés ci-après par M. et Mme Herzog et qui sont
situés à Paris boulevard de Courcelles, rue Prony, rue Logelbach et rue
Phalsbourg.
L’exploitation, la
location ou la vente, soit de terrains, soit d’immeubles et d’établissements créés. »
Les statuts constitutifs de la société prévoient :
«...jusqu’à ce que les
immeubles que la société se propose de construire sur les terrains apportés
ci-après par M. et Mme Herzog soient terminés et mis en valeur, les actions,
en représentation de ces efforts, ainsi que celles souscrites en numéraire,
auront droit à un intérêt calculé à raison de 5% l’an à partir du 1er août 1878...»
M. et Mme Antoine
Herzog sont les principaux actionnaires avec 2777 actions sur les 3000
existants en tout, soit plus des ¾ du capital.
Les apports de M. et
Mme Herzog sont exclusivement en nature, constitués par un ensemble de
terrains dont le détail figure dans l’acte notarié constitutif,
correspondant à la presque totalité de ceux acquis dans ce quartier,
exception faite de quelques parcelles qui resteront leur propriété et de
leurs immeubles possédés en propre.
Ces apports consistent
en 7 329 mètres de sol avec 341,45 mètres de façade, au prix moyen de 189,45
francs, prix jugé raisonnable et plutôt en deçà des prix pratiqués. Cette
modération des apports et des frais de constitution a mis d’emblée la
société dans de bonnes conditions d’exploitation et a assuré, avec une bonne
gestion, son avenir. [1] Simone Granboulan-Féral, « Aspects de l’architecture dans la plaine Monceau », bulletin société histoire de Paris, 109ème année, 1982.
L’autre actionnaire
important est l’architecte Émile Lemenil, même si sa participation au
capital de la société est beaucoup plus modeste (23 actions pour 11.500
francs, ce qui le place au second rang, les autres actionnaires ne possédant
que 20 ou 10 actions maximum).
Né en 1832 à Paris,
élève des Beaux-Arts en 1849, Émile Lemenil étudia à l’académie impériale de
St Petersbourg, fut élève de Le Bas, et obtint son diplôme d’architecte.
A partir de 1880, il va
résider 7 rue de Logelbach dans un des immeubles fraîchement construits par
la « Compagnie des Immeubles de la Plaine Monceau », et plus tard au 50
boulevard de Courcelles, siège social de la compagnie.
L’activité d’Émile Leménil va en quelque sorte se confondre pendant plusieurs années avec celle
de la « Compagnie des Immeubles de la plaine Monceau » car il va se
consacrer à la construction des immeubles qui seront plus tard
commercialisés par elle : 95 rue de Prony en 1881, 77 rue Jouffroy en 1882,
77-79 rue de Prony en 1882. Et bien sûr, une grande partie des immeubles qui
seront construits en bordure des rues de Phalsbourg, Thann et Logelbach.
Les autres actionnaires
de la Compagnie sont d’évidence tous les principaux chefs d’entreprise qui
interviendront dans la construction des immeubles car presque tous les corps
de métier sont représentés dans l’actionnariat : ainsi cette société aura
été lancée avec les apports en nature d’Antoine Herzog, et la compétence de
l’architecte Leménil qui va en être le véritable animateur, et qui a sans
doute choisi pour leur savoir-faire les entrepreneurs qui participeront à la
construction des immeubles et qui seront ainsi intéressés à double titre à
la réussite de l’entreprise.
Le 16 octobre 1879,
Antoine Herzog est nommé à l’unanimité président du conseil d’administration
de la société, et dès cette première séance, va lancer les premiers projets
de «...maisons d’habitation et autres constructions conformes aux plans et
devis qui ont été dressés par M. Leménil que ce dernier a déposés sur le
bureau...».
Le procès-verbal de la
séance du conseil d’administration du 27 décembre 1878 cite une demande
émanant de M. et Mme Antoine Herzog à la Compagnie des Immeubles de la
plaine Monceau :
«...nous avons l’honneur
de vous adresser la répartition suivante par laquelle nous désirions que
vous fassiez la remise des 2777 actions de
votre société par suite de l’apport de nos terrains. Vous voudrez bien nous
faire tenir :
- 888 actions au porteur,
- 789 actions en 1 titre nominatif au nom de M. Joseph Antoine Herzog,
- 450 actions en 3 titres nominatifs au nom de M. Leménil Louis Marie
Émile de 200, 200 et 50...»
Et ainsi de suite, pour divers titres nominatifs destinés à d’autres personnes.
Société anonyme au capital social de 1.500.000 francs
Feuille de présence de la première assemblée générale tenue à Paris rue Auber n° 11,
en l’étude de maître Delapalme, notaire, le 9 octobre 1878 à trois heures du soir.
Numéro d’ordre |
Noms et prénoms |
Domicile |
Nbre d’actions |
Capital représenté |
Nbre
de voix |
1 |
HERZOG Joseph Antoine |
Paris
Rue Murillo 6 |
2777 |
1.388.500 |
10 |
2 |
KOHLER Marie Louise Ernestine
épouse du sieur Herzog |
Paris
Rue Murillo 6 |
|
|
|
3 |
LEMENIL Louis Marie Émile,
architecte |
Paris
Rue Fléchier 2 |
23 |
11 500 |
10 |
4 |
FRISER François Léandre
Entrepreneur de travaux |
Paris
Rue de Maubeuge 74 |
20 |
10 000 |
10 |
5 |
DEHAYNIN Albert
négociant |
Paris
Rue Lafayette 231 |
20 |
10 000 |
10 |
6 |
BRUNO Michel Constant
Entrepreneur de serrurerie |
Paris
Rue Fbrg St Denis 206 |
20 |
10 000 |
10 |
7 |
BECOULET Louis Pierre Joseph
Entrepreneur de |
Paris
Rue Lemercier 2 169 |
20 |
10 000 |
10 |
8 |
DURENNE Antoine
Maitre de Forges |
Paris
Rue de la Verrerie 30 |
20 |
10 000 |
10 |
9 |
MAIRE François-Xavier
Entrepreneur de peinture |
Paris
Rue de la Jussienne 2 |
20 |
10 000 |
10 |
10 |
RESSIGA VERCCHINI Bernard
Entrepreneur en fumisterie |
Paris
Avenue Richerand 6 |
10 |
5 000 |
10 |
11 |
GOUAULT Adolphe (fils)
Entrepreneur de marbrerie |
Paris
Avenue de Villars 8 |
20 |
10 000 |
20 |
12 |
GRENIE Henri
Entrepreneur de charpente |
Paris
Rue Petit 72 |
10 |
5 000 |
10 |
13 |
MALLET Gustave
Sculpteur ornemaniste |
Paris
Rue Lallier 6 |
10 |
5 000 |
10 |
14 |
ALBERTIN François-Régis
Entrepreneur de miroiterie |
Paris
Rue Cail 17 |
20 |
10 000 |
10 |
15 |
JARRIANT Benoît
Constructeur d’appareils
électriques |
Paris
Rue de Morny 58 |
10 |
5 000 |
10 |
Le 5 octobre 1879,
Antoine Herzog va donner procuration à Maître Delapalme pour « vendre des
actions de la Compagnie des Immeubles de la Plaine Monceau ».
Antoine Herzog, tout en
restant intéressé à l’évolution de la société, et principal actionnaire, va
pourtant rapidement s’éloigner de sa gestion.
Le 26 janvier 1880, le Conseil d’administration de la société prendra acte de la lettre qui lui est
adressée par Antoine Herzog :
«...mes occupations me retenant chaque jour plus éloigné de Paris, j’ai le regret
d’être obligé de donner ma démission d’administrateur de la Compagnie des
Immeubles de la Plaine Monceau et de me séparer de vous ; je vous prie de
bien vouloir accepter cette démission et de m’en donner acte... »
Émile Leménil sera alors nommé président du conseil d’administration.
Lors d’une séance du 28
décembre 1880, il annoncera au conseil d’administration «...que M. Herzog a
demandé au conseil la conversion d’un titre nominatif de 789 actions en
titres au porteur. ». Le conseil procédera à cette conversion.
C’est aussi lors de cette séance que la Compagnie des Immeubles de la plaine Monceau acceptera
de participer à la souscription publique à hauteur de 100 francs pour élever
sur la place Malesherbes une statue à Alexandre Dumas.
A partir de 1881, les revenus de la Compagnie vont devenir substantiels : le conseil réuni le 17
mai 1881 souligne l’évolution très positive des revenus locatifs d’un
montant de 249.890 francs, et le fait que sur 57 appartements à louer, il
n’en reste plus que 13 de disponibles.
La Compagnie va continuer à acquérir des terrains et à les lotir, et va construire à cette
époque deux nouvelles rues, l’une ouverte sur ses terrains entre la rue de
Prony et la rue Jouffroy, à l’angle de l’avenue de Villiers, « à laquelle
l’illustre maître Monsieur Meissonnier a consenti à donner son nom », et
l’autre « à travers un ensemble de 13.866 m2, qui aura 15 mètres de largeur,
à laquelle le glorieux auteur de Faust, M. Gounod, a consenti à donner son nom ».
La Compagnie des Immeubles de la plaine Monceau va acquérir un nombre considérable de
terrains et poursuivre l’édification de nombreuses constructions dans cette
partie du XVIIème arrondissement, constituant ainsi entre 1879 et 1885 son
domaine, composé d’immeubles situés boulevard de Courcelles, rue de Logelbach, rue de Thann, rue de Phalsbourg, rue Meissonnier, rue Jouffroy,
rue de Prony, avenue de Wagram, rue Gounod, rue Brémontier, ...
Elle sera assurément la plus importante des sociétés foncières de ce quartier
de Paris auquel elle donnera sa physionomie actuelle ; comme le souligne
Simone Granboulan-Féral, « la solidité de la mise en place financière se
retrouve dans les constructions. L’architecture choisie est très sobre et
respecte tous les règlements. Les matériaux employés sont ceux du style
noble : la pierre et l’ardoise. Le décor est de bon goût, suffisant sans
être superflu. La CIPM ne recherche pas l’effet, même boulevard de
Courcelles, en face de la rotonde ».
Si cet auteur regrette une forme de monotonie de l’effet architectural dont elle reconnaît par
ailleurs l’harmonie et la qualité, nous notons là encore l’influence
d’Antoine Herzog soucieux d’un sobre « bon goût » et d’une certaine
discrétion qu’il pratiqua tout au long de son existence.
En revanche, cet auteur souligne la qualité des aménagements intérieurs particulièrement soignés, et
dans le nombre, les dimensions et la distribution des pièces. Ces
appartements appartiendront en effet à la première catégorie des immeubles
locatifs, destinés à des gens issus de l’aristocratie et de la bourgeoisie aisées.
Antoine Herzog rachètera à la Compagnie des Immeubles de la plaine Monceau qui en prendra
acte lors de son conseil d’administration du 28 janvier 1882, un terrain de
594,25 m2 situé 16 rue de Prony, qui faisait partie de l’apport
qu’il avait lui-même fait à la société lors de sa constitution. Ce terrain,
estimé 100.000 francs quand la société l’avait acquis, lui sera vendu 160.000 francs.
C’est à cet endroit, ainsi que sur le terrain du 18 rue de Prony
qui lui appartenait à titre personnel, qu’il fera construire par
l’architecte Émile Leménil les logements et écuries précités qui lui appartiendront en propre.
Avec le temps, Antoine Herzog va progressivement vendre ses actions de la Compagnie des Immeubles
de la plaine Monceau comme il avait commencé à le faire dès le début, pour
en réinvestir le bénéfice dans ses établissements industriels d’Alsace et
dans d’autres projets immobiliers à Neuilly-sur-Seine et Levallois-Perret.
En 1884, Antoine et Ernestine Herzog auront cédé l’intégralité de leurs actions de la
Compagnie
des Immeubles de la plaine Monceau, dite CIPM.
En 1885, la Compagnie cesse son activité constructrice, elle gère, traverse la crise de 1885 à
1900, puis la dure période des loyers bloqués de 1914 à 1976.
La « CIPM » va
poursuivre son existence bien au-delà sans doute des prévisions de son
fondateur : devenue société foncière, avec des actifs immobiliers
importants à Paris, possédant une trentaine d’immeubles dans le 17ème
arrondissement, et avec encore parmi eux la plupart des immeubles d’origine construits sur les terrains apportés par
Antoine Herzog, elle aura adapté ses structures financières, sera cotée en bourse et fera l’objet
d’une fusion absorption par la société SIMCO en 1997, elle-même absorbée
quelques années plus tard par la société foncière GECINA.
Des nombreuses entreprises initiées par Antoine Herzog, elle est finalement la seule à
s’être ainsi véritablement prolongée jusqu’au 21ème siècle.
L’île de la Grande Jatte [2] faisait partie du parc du château de Neuilly
qui avait été donné par Louis XVIII au duc d’Orléans, futur Louis-Philippe.
Après 1830, le domaine privé du roi fut agrandi et embelli par ce dernier,
et des ponts furent construits pour « traverser la rivière et mener aux îles ».
En 1840, le roi
acquiert l’île de la Petite Jatte et la réunit à sa grande voisine : il
n’existe désormais qu’une seule île qui garde cependant son nom d’origine,
l’île de la Grande Jatte et qui devint l’aire de jeu favorite des fils du
roi, notamment du prince de Joinville qui l’évoque dans ses souvenirs :
« Cette île était
couverte d’arbres séculaires et sillonnée de ses sentiers ombreux chantés
par Gounod où nous aimions nous égarer avec l’insouciance de la jeunesse...»
[2] L’essentiel de ce qui concerne l’île de la grande Jatte est extrait de l’ouvrage de Monique Lucenet « L’île de la Jatte, une belle mise en Seine », Neuilly-sur-Seine (7-13 Bd Paul-Émile Victor, 92200) Blues Eyes, 2000.
Les princes d’Orléans
étaient bons nageurs, et se laissaient dériver de l’île de la Grande Jatte
jusqu’à Asnières tandis que leur père naviguait sur la Seine dans une
somptueuse chaloupe halée par des chevaux ou mue par une dizaine de rameurs.
Lorsque la Monarchie de
Juillet s’effondre en 1848, les châteaux sont incendiés et les parcs
dévastés. La République, par décrets successifs de son président
Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III, décide la vente par
adjudication du domaine de Neuilly devenu bien national. L’ensemble loti est
soumis aux servitudes imposées par le conseil municipal de l’automne de
1853 : les immeubles doivent se situer à 20 mètres des voies, être enclos de
grilles de fer, de taille semblable, certaines activités économiques ne sont
pas autorisées.
Douze rues et cinq
boulevards sont ouverts et viabilisés entre 1859 et 1861. Ce n’est qu’à
cette dernière date que l’île de la Grande Jatte fut lotie car il fallut
attendre la construction d’un « petit pont » la reliant au boulevard Bineau, du nom du lotisseur en chef de
l’ancien domaine royal.
Huit ans après les
lotissements des parcs des anciens châteaux, l’île se vit imposer également
les servitudes suivantes :
« 1° Les acquéreurs ne
pourront clore leurs terrains en bordure du boulevard Bineau, de l’hémicycle
et des boulevards circulaires que par des grilles en fer.
2° Aucune construction
ne pourra être élevée qu’à une distance de vingt mètres des alignements du
boulevard Bineau et de l’hémicycle et de dix mètres de l’alignement des
boulevards circulaires.
3° Les acquéreurs des
lots en façade sur le boulevard circulaire devront établir et entretenir sur
la crête de la portion de talus indépendants de leurs lots, et à
l’alignement des boulevards, une clôture en treillage d’une hauteur uniforme
de 1,20 mètre en suivant le rampant du talus. Il en sera de même des
plantations et dispositions qui seront faites sur le terrain. Toutefois, les
plantations actuelles pourront être conservées, mais en ayant soin de ne pas
les laisser croître de manière à nuire à la vue du fleuve.
4° Sont prohibés et ne
pourront être établis dans les propriétés vendues, des fabriques, usines,
ateliers ou dépôts compris par les lois et règlement parmi les
établissements dangereux, insalubres ou incommodes.
Ainsi toutes les voies
créées par l’État dans l’ancien domaine de Neuilly, celles du Parc de
Neuilly comme celles de l’île de la Grande Jatte sont aujourd’hui sans
exception, sous la dépendance de la commune de Neuilly. »
L’île de la Jatte (Archives de la ville de Neuilly-sur-Seine, colorisé par Guy Frank)
La guerre de 1870
détruisit une grande partie de la commune de Neuilly, comme de bien des
environs de l’ouest parisien.
Elle fut à l’origine de
la destruction de plus de trois cent ponts de toutes dimensions en France,
et le pont Bineau fit partie de ceux-là, isolant provisoirement l’île alors
dévastée et encore inaccessible autrement que par la voie navigable.
Le pont Bineau fut
reconstruit en 1877, et c’est à cette époque qu’Antoine Herzog fit ses
premières acquisitions de terrains sur l’île de la Grande Jatte : le 12
janvier 1878, il achetait à Françoise Marie Troyard, épouse Poupion,
habitant Levallois Perret, et à la famille d’Orléans des terrains sis à
Levallois-Perret dans l’île de la Grande Jatte pour 10.000 francs. Le 21
mars de la même année, il donna procuration à son neveu Jean Maritz,
habitant Neuilly-sur-Seine, « pour acquérir des terrains sis dans cette
commune dans l’île de la Grande Jatte ». En mars 1881, il acheta à Ernest
Théobald Breton, demeurant à Paris, 6 rue Sallenave, « la partie droite, en
sortant de Neuilly du boulevard circulaire de l’île de la Grande Jatte
moyennant 8000 francs payés comptant ».
Finalement, au fur et à
mesure d’achats successifs effectués ensuite principalement auprès du
domaine national après les quelques particuliers précités, Antoine Herzog
devint propriétaire de l’intégralité des terrains situés en bordure du
boulevard circulaire sur la partie droite de l’île de la Grande Jatte, à
droite du pont Bineau en venant de Neuilly, soit d’environ la moitié droite
de l’île en venant de Neuilly, exception faite des terrains immédiatement
limitrophes de la continuité du boulevard Bineau traversant l’île dans son
milieu.
Antoine Herzog, selon
son arrière-petite fille Mme Jean Stoffel, constatant l’anormale absence
d’un port fluvial digne de ce nom pour la capitale, aurait eu le projet de
créer le port de Paris sur l’île de la Grande Jatte, idée qui devait se
concrétiser presque un siècle plus tard, mais plus loin sur la Seine, sur
l’île de Gennevilliers.
Il nous est difficile
de savoir ce qui empêcha la réalisation du projet initial d’Antoine Herzog.
Est-ce le règlement d’urbanisme de l’île de la Jatte qui devait consacrer le
caractère résidentiel de cette partie de Neuilly et de Levallois ? Avait-il
imaginé que les dégâts provoqués par la guerre de 1870 qui avait ruiné
Neuilly et ses environs remettraient en cause l’avenir résidentiel de ce
site tel qu’il avait été pourtant prévu quelques années plus tôt ? Était-ce
vraiment son projet ?
Toujours est-il qu’il
va conserver la majorité de ses terrains, et fera construire au niveau du
67-69 boulevard de Levallois, deux maisons et un pavillon parmi lesquels
l’édifice construit par l’architecte Paul Casimir Fouquiau et décoré par A.
Lenoir : il s’agissait d’un « manège couvert, en bois apparent avec
remplissage de briques apparentes également ».
Le programme de l’architecte était le suivant :
« Un riche propriétaire, chef d’une nombreuse famille, réunit le dimanche à la
campagne ses enfants et petits-enfants et désire leur procurer tous les
amusements de leur âge. Dans ce but, ont été installés les salons de jeux,
le manège, le staking-rink, et enfin le complément de ces différentes
créations sera fait plus tard par l’édification d’un gymnase, d’une salle à
manger d’été, d’un petit port pour les canots, d’une petite ménagerie. »
Il s’agit des
constructions édifiées par Antoine Herzog pour ses petits-enfants qui
étaient devenus parisiens à la même époque. Le cadastre confirme en effet sa
qualité de propriétaire des terrains et le fait qu’il ait fait construire
ces édifices entre 1877 et 1880.
Le « manège couvert »
sera en 1903 le siège de la Société française d’Électrographie, et servira
de remise des décors de l’Opéra et de l’Opéra-comique dans les années
1950-1970. Il sera plus tard entouré de constructions diverses qui vont le
défigurer. Assez bien restauré malgré les mutilations du temps, il sert
actuellement de cadre au restaurant « le Café de la Jatte ».
Mais à part ces
constructions, la majorité de ces terrains restera à l’état naturel, voire
boisé, et il est encore possible aujourd’hui, au moins pour la partie de
l’île située sur la commune de Levallois-Perret, propriété exclusive
d’Antoine Herzog à l’époque, de la contempler telle qu’elle devait être, son
dernier aménagement ayant préservé le caractère naturel du lieu.
Antoine Herzog, même
s’il va conserver la majorité de ses propriétés de la Grande Jatte, va tout
de même revendre quelques-unes de ses acquisitions : le 9 octobre 1886, il
vendra à Antoine Gaillard, domicilié à Neuilly, un terrain de 2500 m2 pour
la somme de 17.500 francs ; le 31 octobre 1889, il cédera à Antoine Émile
Schutz demeurant à Paris, 3 rue Mallet Stevens, un terrain sis à
Neuilly-sur-Seine, île de la Grande Jatte d’une contenance de 334,36 m2
moyennant 5091,20 francs. La même année, il vendra plusieurs parcelles à
Joseph Léon Midaveine, et un terrain de 322,38 m2 à Édouard JB. Chantreau
pour 4908,90 francs.
Il s’agira des
parcelles les plus proches du boulevard Bineau, partie de l’île par laquelle
avait commencé son urbanisation.
La dernière cession
effectuée par Antoine Herzog concernera un terrain de 500m2 situé sur la
commune de Levallois-Perret qu’il vendit le 25 février 1891 à Clément
Alexandre Guilbot, à qui Ernestine Herzog louera par ailleurs un terrain de
500 m2 mitoyen du précédent pour un loyer annuel de 250 francs.
La maison de l’île de la Jatte
(archives personnelles d’Emmanuel Rougier)
Mais en 1892 à la mort
d’Antoine Herzog, sa succession indique que l’importance des parcelles
restées sa propriété était encore réelle, car elles constituaient un
ensemble d’environ deux hectares, soit la partie « nord-ouest » de l’île,
exception faite du terrain précité.
Curieusement, cette
succession indique plusieurs statues qui sont propriété d’Antoine Herzog sur
l’île de la Jatte, et qui devaient vraisemblablement orner son parc.
En revanche, sa
succession n’évoque pas les maisons des 67-69 boulevard de Levallois,
pourtant restées sa propriété. Mais le texte de cette succession, rédigée en
langue allemande est bizarrement précis s’agissant de détails et
approximatif pour les points importants.
A l’époque de la mort
de Mme Antoine Herzog, ces deux maisons étaient louées, l’une à M.et Mme
Louis Odilon de Lavergne : «...un pavillon composé d’un rez-de-chaussée
élevé auquel on accède par un perron avec double escalier de cinq marches et
comprenant couloir, salon, une chambre à coucher, salle à manger, cuisine,
escalier montant au premier, cave en sous-sol ; le dit pavillon entouré d’un
jardin planté d’arbres à fruits et d’agrément, avec un puits muni
d’une pompe, le tout clos de murs avec grilles de fer. » Avec cette
maison, M. et Mme de Lavergne avaient aussi loué «...une portion de la berge
sur le grand bras de la Seine, ayant sur le boulevard circulaire une façade
égale à celle du jardin du pavillon… avec l’usage de cette portion de berge
en profitant des avantages de la contiguïté du fleuve, …les preneurs devront
se conformer à toutes les dispositions des lois et règlements concernant le
régime des eaux et la navigation...». Le tout moyennant un loyer annuel de 600 francs.
L’autre propriété était
composée «...d’un corps de bâtiment ayant son entrée principale face au grand
bras de la Seine, disposé en manège, écuries et remises, et comprenant en
outre au rez-de-chaussée deux salons, et au premier étage plusieurs chambres
et des greniers éclairés soit sur le grand bras soit sur le petit bras de la
Seine...» et «...d’un terrain en jardin et pelouses entourant pour la plus
grande partie le dit corps de bâtiment...»
Cette maison, fleuron
de l’architecture de la deuxième moitié du XIXème siècle de l’île, évoquée
plus haut (l’actuel « Café de la Jatte ») était alors louée au peintre
Benjamin Constant, pour un loyer annuel de 2000 francs.
Benjamin Constant (à ne
pas confondre avec son homonyme, écrivain célèbre cinquante ans plus tôt,
auteur d’Adolphe et tendre ami de Madame de Staël) était un peintre connu et
apprécié à son époque notamment pour ses portraits et peintures orientalistes.
Né le 10 juin 1845 à
Paris, décédé le 26 mai 1902, il avait fait partie de l’atelier de Cabanel
après ses études aux Beaux-Arts de Paris. D’abord peintre de sujets
historiques, puis orientaliste à la faveur d’un voyage au Maroc, il devint
un des portraitistes favoris de la haute société (portraits de la reine
Victoria, de la reine Alexandra, du duc d’Aumale). Après 1880, il fut aussi
l’auteur de peintures décoratives au plafond de la salle des fêtes de
l’hôtel de ville de Paris, à la Sorbonne, et à l’Opéra-comique. Professeur à
l’école des Beaux-Arts de Paris dès 1883, à l’académie Jullian en 1888,
membre de l’institut en 1893, il fut aussi fait commandeur de la légion d’Honneur.
Une rue actuelle de l’île de la Grande Jatte porte son nom, et fait mémoire de son passage sur ces lieux.
L’étonnante maison d’Antoine Herzog avec son manège et ses vastes salons a donc servi d’atelier
ou de lieu de villégiature à un grand peintre de l’époque.
En fait, et à la
manière des premiers spéculateurs de la plaine Monceau, Antoine Herzog avait
conservé ces terrains et maisons de l’île de la Jatte comme placement, ne
doutant pas que leur valeur ne ferait qu’augmenter avec le temps, et
procédait à des cessions partielles et progressives.
Mais ses héritiers
n’eurent pas la même sagesse : très vite après la mort de Mme Antoine
Herzog, ces terrains seront intégralement vendus.
Le 18 avril 1893, Émile
Fauconneau-Dufresne et son épouse Marie Caroline Jeanne Herzog, fille unique
d’Antoine Herzog, et leurs enfants Emmanuel Fauconneau-Dufresne résidant au
Logelbach (Alsace-Lorraine), Albert Fauconneau-Dufresne, résidant au même
lieu, Gabriel Fauconneau-Dufresne et Gabrielle Perrault de Jotemps sa femme,
résidant à La Graveline quai des Eaux Vives 86, en Suisse, René Petit et
Marguerite Fauconneau-Dufresne sa femme résidant à Paris rue Villersexel 8,
Stanislas Rougier et Marie Fauconneau-Dufresne sa femme, résidant à Rueil
route de Paris 78, vendent l’ensemble des terrains de Neuilly-sur-Seine et
de Levallois-Perret sis sur l’île de la Grande Jatte moyennant 70.000
francs, à Charles Lévy, de Colmar.
Ce dernier faisait-il
partie des créanciers des Établissements Herzog ? Ce propos a été tenu mais
il n’a pas été possible de le vérifier. Charles Lévy, dès qu’il aura acquis
ces terrains, confiera à Jean Maritz le soin de les administrer et de les gérer...
Fondée par Antoine
Herzog en août 1880, ayant son siège 6 rue Murillo, donc au domicile de ce
dernier, les statuts de la « Société Foncière de Levallois-Perret » vont
être déposés par devant Maître Delapalme, notaire à Paris, le 3 août 1880.
L’article 5 des statuts précise :
« La société a pour objet :
1°) l’acquisition, la
vente, l’échange ou la prise en location de terrains ou d’immeubles à
Levallois-Perret et à Neuilly-sur-Seine,
2°) l’édification de
maisons d’habitation et autres constructions commerciales sur tous terrains
sis à Levallois-Perret et à Neuilly-sur-Seine appartenant à la société ou
pris en location par elle,
3°) l’exploitation, la
location, la vente ou l’échange des dits terrains ou immeubles construits. »
Le capital social est
de 3.000.000 Francs, réparti en 3000 actions de 1000 francs chacune.
Numéro |
Noms et prénoms |
Domicile |
Nbre
d’actions |
Capital
représenté |
Nbre
de voix |
1 |
HERZOG Joseph Antoine
Propriétaire manufacturier |
Paris
Rue Murillo 6 |
2665 |
2.665.000 |
10 |
2 |
HERZOG Émile,
représenté par M.Goguel |
Nancy |
150 |
150.000 |
8 |
3 |
BERNARD Émile
représenté par M. Maritz sénateur |
Paris
Rue des Feuillantines 79 |
25 |
25.000 |
2 |
4 |
HERZOG Eugène
représenté par Antoine Herzog |
Paris
Rue des Feuillantines 69 |
20 |
20. 000 |
2 |
5 |
MARITZ Jean Jacques
Propriétaire |
Paris
Rue Vineuse 22 |
20 |
20.000 |
2 |
6 |
GOGUEL Charles
Industriel |
Montbeliard |
20 |
20.000 |
2 |
7 |
WEIBEL Édouard
Comptable |
Logelbach |
20 |
20.000 |
2 |
8 |
FUCHS Edmond
Ingénieur des Mines |
Paris
Rue des Beaux Arts 5 |
15 |
15.000 |
1 |
9 |
BIEDERMANN Jean
représenté par M. Jardel |
Logelbach |
15 |
15.000 |
1 |
10 |
ROMAINS Adolphe
représenté par Charles Grad |
Logelbach |
10 |
10.000 |
1 |
11 |
WISSANT fils Édouard
représenté par M. Weibel |
Orbey |
10 |
10.000 |
1 |
12 |
GRAD Charles
Homme de lettres |
Turckheim |
10 |
10.000 |
1 |
13 |
FROMM Henri Guilhem
Rédacteur à l’Univers |
Paris
Rue des St Pères 10 |
10 |
10.000 |
1 |
14 |
JARDEL Lucien
Employé |
Paris
Rue Chanoinesse 4 |
10 |
10.000 |
1 |
15 |
JARRIANT Benoît Constructeur appareils électr. |
Paris Rue de Morny 58 |
10 | 5 000 | 10 |
Il est clair qu’Antoine
Herzog est l’actionnaire principal de la société, avec plus du ¾ des
actions ; contrairement au précédent de la Compagnie immobilière de la
Plaine Monceau, il n’a pas apporté de capital à partir d’apport de terrains,
comme il aurait pu le faire avec ses propriétés de l’île de la Grande Jatte,
mais seulement en numéraire.
La composition de
l’actionnariat est assez révélatrice car on y retrouve plusieurs des hommes
de confiance d’Antoine Herzog, des membres de sa famille, dont certains
appartiennent aussi parfois à la catégorie précédente, tel son neveu Jean
Maritz qui a toujours travaillé à ses côtés s’agissant des projets parisiens
de son oncle, ou encore son petit cousin Édouard Weibel aussi présent en
Alsace dans les conseils des établissements, son neveu Eugène Herzog et son
frère Émile apparaissant plus comme « hommes de paille ». Charles Grad, son
collaborateur dévoué, désormais connu grâce à ses publications, a droit à
l’appellation « homme de lettres ». Les autres noms nous sont inconnus, il
doit s’agir pour certains résidents du Logelbach ou d’Orbey, de cadres des
Établissements Herzog. Contrairement au précédent de la « Compagnie des
Immeubles de la plaine Monceau », les actionnaires ne sont pas des
professionnels de l’urbanisme ou de la construction.
La Société va
rapidement entrer en activité et commencer par acquérir plusieurs terrains :
le 20 juin 1881, elle achète à la société civile existant entre les
descendants d’Émile et Isaac Pereire un grand terrain sis à Levallois-Perret
moyennant 473.749,57 francs payés comptant, le 11 octobre 1881, elle achète
au comte Charles Greffulhe et à son épouse Félicité Pauline Henriette de la
Rochefoucauld (beaux-parents de la célèbre Élisabeth Greffulhe, l’égérie de
Proust…), un terrain sis à Levallois-Perret de 21.331,80 m² pour 426.637,20
francs. Le 31 juillet 1882, la Société représentée par son administrateur
Jean Maritz, passe un bail assorti d’une promesse de vente pour des terrains
sis à Levallois-Perret au profit d’Eugène Girard demeurant à
Levallois-Perret. Le 21 juillet 1885, elle loue des terrains situés à
Levallois-Perret à Mme Marie Henriette Isabelle Maison veuve d’Albert de Vatimesnil. Et en septembre de la même année, elle passe un bail assorti
d’une promesse de vente avec Marie Achille Janvier au sujet d’un terrain à
Levallois-Perret rue de Villiers.
Ces quelques exemples
pour illustrer l’activité de cette société qui va donc croître et prospérer
tant que son fondateur s’y impliquera. Les minutes de l’étude Delapalme,
notaire de la famille Herzog à Paris, comportent un nombre conséquent
d’actes divers passés par la Société foncière de Levallois-Perret (baux,
ventes, achats et constructions) qui va posséder un patrimoine immobilier
très conséquent à Neuilly et Levallois-Perret. Antoine Herzog prendra par
rapport à elle pendant ses dernières années le même recul qu’à l’égard de
ses autres activités parisiennes, toute son attention s’étant recentrée sur
ses industries d’Alsace. Il restera néanmoins son actionnaire principal.
Mais la Société
foncière de Levallois-Perret ne survivra pas longtemps à son fondateur :
après la mort de sa veuve, Mme Antoine Herzog née Ernestine Kohler en mars
1893, ses petits-enfants M. et Mme René Petit née Marguerite Fauconneau-Dufresne, domiciliés 8 rue de Villersexel à Paris, et M. et Mme Stanislas
Rougier née Marie Fauconneau-Dufresne domiciliés 78 avenue de Paris à Rueil,
donnent le 8 avril 1893 procuration à leur notaire, maître Delapalme, pour
« les représenter à l’assemblée des actionnaires de la Société foncière de
Levallois-Perret », « pour vendre » et « pour toucher ». Leur mère Mme
Émile
Fauconneau-Dufresne née Marie Herzog, donnera à son tour procuration à
Maître Delapalme le 11 avril 1893 « pour la représenter à l’assemblée
générale extraordinaire des actionnaires de la Société foncière de
Levallois-Perret ».
Ce sera assurément la
dernière assemblée des actionnaires, car le 22 juillet 1893, la déclaration
de dissolution de la Société foncière de Levallois-Perret est déposée chez
le notaire de la famille, Maître Delapalme.
Emmanuel Fauconneau-Dufresne qui avait été nommé unique administrateur de la société aux termes
d’une délibération de l’assemblée générale de celle-ci, le 30 décembre 1892,
est nommé liquidateur lors de cette dernière assemblée de 1893 : il va
réaliser tout l’actif mobilier et immobilier de la société, au moyen de
trois ventes consenties :
1° A la Société du Perpétuel Secours, suivant acte reçu par maîtres Faÿ et Delapalme notaires à
Paris, le 30 mai 1893,
2° A la Société des
Immeubles de Levallois, suivant acte reçu par maîtres Magne et Delapalme
notaires à Paris le même jour, par lequel il va vendre divers immeubles sis
à Levallois-Perret pour un prix de deux millions deux cent vingt-six mille
francs, payable en 10 annuités.
3° et à M. Elizalde
suivant acte reçu par maîtres Châtelain et Delapalme, notaires à Paris le 3
juillet 1893.
Il sera constaté que la
totalité de l’actif social étant ainsi réalisé, la société se trouve
dissoute à compter du dernier acte de vente, soit le 3 juillet 1893. A cette
date, il ne reste plus rien du patrimoine foncier parisien d’Antoine Herzog
entièrement aliéné, la famille ayant perçu une partie des fonds issus de ces
cessions, le reste ayant été réinvesti dans les « Établissements Herzog »,
ou ayant servi à payer une partie des dettes de la société.
Les immeubles de la
plaine Monceau, les rues alsaciennes dont la rue du Logelbach, la maison de
l’île de la Grande Jatte à Neuilly témoignent encore aujourd’hui de l’œuvre
d’Antoine Herzog à Paris.
Emmanuel ROUGIER
descendant d'Antoine Herzog
La maison d’Antoine Herzog sur l’île de la Jatte à Neuilly-sur-Seine
(archives personnelles d’Emmanuel Rougier)
Vous trouverez l’intégralité de la recherche de Paul-André Cattin, dans les annuaires précédents de la Société d’Histoire de Wintzenheim.
Herzog, un empire industriel au XIXème siècle :
Annuaire 1999 – N° 3 La famille – Les débuts
Annuaire 2000 – N° 4 Les usines
Annuaire 2001 – N° 5 Les œuvres sociales – La chapelle
Annuaire 2202 – N° 6 Le patrimoine en Alsace
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