WINTZENHEIM . LOGELBACH

Herzog, un empire industriel au XIXe siècle

2ème Partie : Les usines


Suivant l'étude de la Société Herzog au 19ème siècle, voici quelques images de l'activité industrielle des promoteurs de la Société que furent Antoine Herzog père et fils.

Les usines

Les Herzog, père et fils, perfectionneront leurs usines durant toute leur existence. Ils s'occuperont de tous les détails du fonctionnement et tendront à une concentration verticale de l'activité qui englobera aussi bien la matière première que l'énergie nécessaire à sa transformation jusqu'à sa livraison au consommateur.

Nous savons qu'Antoine Herzog père fut envoyé étudier au conservatoire des Arts et Métiers à Paris. Cet établissement créé en 1794 n'était pas à proprement parler une école. Destiné à rassembler et conserver les machines industrielles et agricoles de l'époque, il servait aussi de lieu de démonstration de ces machines sous la conduite d'ingénieurs. Cependant dès 1799, une «petite école» de dessin industriel y fonctionnera et en 1804 s'ouvrira une école de filature de coton. Antoine Herzog, âgé de moins de vingt ans, peut avoir suivi ces cours. Lors de la naissance de son fils à Guebwiller, sa profession est «mécanicien». Joseph Antoine Herzog fils, après des études au lycée de Strasbourg, suivra, comme auditeur libre, les cours de l'École Centrale de Paris destinée à la formation d'ingénieurs pour l'industrie et les travaux publics. Ce qui explique sans doute son goût pour les travaux hydrauliques.

Les patrons de l'entreprise possèdent donc une solide formation technique qu'ils mettront en pratique dans leurs usines. Joseph Antoine Herzog fut secondé dans ses entreprises par ce véritable touche à tout que fut Charles Grad (1842-1890) qui, malgré une santé assez fragile dont il se plaint déjà à trente ans, (1) fit preuve d'une activité débordante. (1) Voir Et FREY : Journal intime de Charles Grad (Sutter Rixheim 1892).

La filature

L'entreprise de base du Logelbach était la filature, le tissage ne venant s'ajouter que par l'achat de l'usine d'Orbey.

Au début du 19ème siècle, les machines à filer commencent à faire leur apparition. Mais avant que la matière première ne puisse passer sur ces machines, que de manipulations ! Le coton arrive compressé en balles compactes (2). Il faut donc le déballer, battre les fibres pour en faire tomber les feuilles, graines et autres impuretés. Cette opération se fait d'abord manuellement. Elle est génératrice de poussière dangereuse à la fois pour les ouvriers et pour les bâtiments. En effet cette poussière est très inflammable et les incendies sont fréquents. Plus tard, l'opération se fait à la machine et pour éviter le plus possible la poussière on a l'idée d'humidifier l'air, d'où l'installation de fontaines dans les ateliers. (2) Une balle pèse entre 80 et 250 kg.

Une fois nettoyées, les fibres sont cardées plusieurs fois jusqu'à en faire des nappes qui sont enroulées dans des tambours. Ce sont ces nappes composées de plusieurs couches de fibres parallèles qui vont être filées. Toutes ces opérations sont mécaniques mais requièrent une nombreuse main d'oeuvre.

Le filage se fait sur des bancs à broches. Au cours du siècle, les machines à filer mécaniques dont la première fut installée, en Alsace, à Wesserling en 1802, sont souvent perfectionnées dans les usines elles-mêmes qui comportent toutes des ateliers de mécanique. Antoine Herzog père ne fut-il pas qualifié de «mécanicien» par le secrétaire de mairie de Guebwiller, lors de la naissance de son fils ?

Charles Grad nous décrit minutieusement les opérations telles qu'elles se déroulaient dans l'entreprise Herzog du Logelbach, voici des extraits de ces descriptions : (3) Charles Grad, L'Alsace le pays et ses habitants (Alsatia Colmar).

«au banc à broches, la principale difficulté et la particularité mécanique fondamentale se trouvent dans la combinaison du mouvement simultané et indépendant de la broche et de la bobine. D'une part la broche à ailettes, chargée de tordre la mèche que lui livrent les organes étireurs de la machine, est à vitesse constante ainsi que les organes étireurs. D'un autre côté, la bobine en bois appliquée sur la broche pour enrouler la mèche doit varier de vitesse suivant l'augmentation de la circonférence du fil sur la bobine, afin de conserver à la mèche la même tension pendant l'enroulement.»

« A la grande filature du Logelbach deux sortes de métiers servent pour le filage, de même qu'il y a deux types de peigneuses : ce sont le métier à chariot et le métier continu. Sur le métier continu à fonctions simultanées, le renvidage, l'étirage et la torsion du fil s'effectuent en même temps, tandis que sur le métier à chariot plusieurs temps sont nécessaires pour les mêmes opérations.»

Le métier continu ou ringthrostle comporte un anneau qui fait subir la torsion au fil en même temps que la bobine l'entraîne tandis que dans le métier à chariot, ou selfactor, un chariot monté sur rails déroule une longueur de mèche. Celle ci est torsadée et enroulée pendant que le chariot avance vers le banc. Les deux machines tournent à 6.000 tours minute. Charles Grad nous rappelle que le rouet de la fileuse tourne à 60 tours minute. Une seule broche fait donc le travail de cent fileuses Un métier continu comporte environ 300 broches, tandis qu'un selfactor en compte entre 560 et 1.000.

Logelbach 

Métiers à filer au Logelbach - Dessin de Barclay, d'après une photographie

Le tissage

Comme la filature, le tissage demande un certain nombre de manipulations. Le fil arrive sur des bobines depuis la filature. Il faut alors préparer les bobines des navettes, mais aussi la trame. Témoins les nombreuses spécialités représentées au début du siècle dans le quartier St Joseph où la présence du tissage de la Bagatelle est particulièrement marquée : maîtres tisserands, tisserands, ourdisseurs, encolleurs, magasiniers sans oublier les nombreux journaliers, près de 10% des chefs de famille du quartier.

L'usine de la Bagatelle a entièrement disparu sous le pic des démolisseurs. Voici la description qu'en fait Charles Grad :
« Bagatelle est le nom d'une vieille maison de campagne habitée par Voltaire pendant son séjour à Colmar. Tout à côté a été bâtie la nouvelle manufacture dans laquelle les filés du Logelbach sont convertis en tissus. Pas plus que la filature, le tissage ne présente d'apparence par l'extérieur, c'est un bâtiment en parallélogramme, d'une longueur de 135 mètres sur 70 de large, construit en rez-de-chaussée et éclairé par en haut. Plus de 1.000 métiers à tisser y travaillent dans une seule salle, au plafond soutenu par des colonnes en fonte. Sur les côtés s'étendent les ateliers de préparation, séparés de la salle principale par une cloison vitrée, puis les bureaux, les différents magasins, les ateliers de réparation...».

Autres produits

Cependant on ne s'en tient pas là chez Herzog. L'entreprise compte outre d'autres filatures (Turckheim...) et tissages (Orbey...) des blanchisseries rue des Moulins à Colmar, puis rue du Logelbach, après le rachat de Kiener-Barth. L'usine de la rue des Moulins sera vendue en 1896 et remplacée en 1899 par un établissement nouveau à Turckheim dont le règlement sanitaire est assez strict.

Les effluents se déversant dans la Fecht, un règlement daté du 6 novembre 1899 émis par le « Ministerium für Elsass-Lothringen, Abteilung für Financen, Gewerbe und Domanen » (4) Ministère pour l'Alsace Lorraine, département des finances, industries et domaines, stipule entre autres :
- il est interdit de déverser des substances contenant du pétrole ou autre hydrocarbure, des produits à base de phénol, d'arsenic ou de chlore quel que soit leur volume ;
- les dérivés soufrés ne doivent pas contenir plus de 1g par 100 litres ;
- la teneur en métaux lourds tel que le baryum ne doivent pas excéder lg pour 10 litres ;
- les filtres à sable doivent avoir une épaisseur de 80 cm.
- les eaux usées doivent être assez claires pour être transparentes lorsqu'elles forment une couche de 5 cm et qu'on puisse lire une écriture imprimée normalement à travers une couche de 15 cm !
- les planchers doivent être étanches.
- la société paie les frais d'analyse.
Les eaux qui s'écoulent ne doivent pas atteindre la nappe phréatique. (5) ADHR 8 AL 1/7451.

Créations et transformations techniques

Les usines de cette époque ne se contentent pas de produire à l'aide de machines achetées ailleurs. Très souvent ce sont de vrais laboratoires, et la recherche appliquée y joue un grand rôle. (6) Pour mémoire les travaux de Chrétien Haussmann en chimie, de Ferdinand Hirn en mécanique et d'Adolphe Hirn en physique et thermodynamique qui se poursuivaient à l'époque dans l'entreprise voisine. Voir K. Keller « G.A. HIRN sein Leben und seine Werke » Springer, Berlin 1912.

Les machines sont constamment perfectionnées, leur réparation est effectuée sur place par les mécaniciens de l'usine et certaines innovations techniques telle l'invention de Biedermann, un des directeurs de Herzog pour sécuriser les manœuvres de changement de poulies des courroies de transmission.

Ceci nous amène aussi à parler des accidents. Le 13 janvier 1852, le maire de Wintzenheim répond à une enquête de la Préfecture :

Monsieur le Préfet,
En réponse à votre lettre du 3 du courant, que je n'ai reçue que le 6, relative aux accidents occasionnés dans les manufactures, j'ai l'honneur de vous faire connaître que, depuis longtemps aucun accident de ce genre n'est arrivé dans les établissements situés dans la banlieue de Wintzenheim.
Les propriétaires de ces établissements ont cherché par tous les soins possibles à prévenir ce malheur.
1. Ils ont fait couvrir avec des plaques de tôle ou de fer blanc les engrenages dangereux ;
2. Ils ont fait en sorte que les ouvriers n'aient plus besoin de toucher manuellement les courroies ;
3. Que par la stricte et active surveillance que les contremaîtres exercent sur les ouvriers aucune imprudence ne peut plus avoir lieu.
Daignez agréer...

Cependant dans la même chemise, on nous apprend que le 29.12.1863 Michel Gravay de Wintzenheim a eu le bras broyé par un engrenage. Divers autres accidents tels que des arrachements de la peau des doigts voire des arrachements du cuir chevelu sont signalés soit par des rapports soit par la presse.

Les conditions de travail, signalées comme idéales par Charles Grad vers la fin du siècle, ne le sont pas toujours. Témoin une lettre du préfet adressée en 1864 à Herzog à propos de son usine d'Orbey : «...par suite de la négligence que le directeur de votre tissage d'Orbey met dans la préparation du gaz d'éclairage, la santé et même l'existence des ouvriers que vous employez se trouve compromise ».

Cette lettre fait suite à une plainte d'un adjoint au maire d'Orbey.

Elle nous apprend aussi que les ateliers étaient éclairés au gaz fabriqué par l'établissement lui-même. Le gazomètre est mentionné dans l'inventaire de 1858. (7) Traité de société entre M. Herzog et ses enfants (ADHR 6 E 15/144) Il est vrai qu'Antoine Herzog n'était pas, dans cette production, un néophyte puisqu'en 1851 il avait affermé l'usine à gaz de Colmar pour 9 ans.

Problèmes et solutions.

L'eau

Au XIXème siècle, les principales sources d'énergie étaient l'eau, énergie hydraulique ou houille blanche, et le charbon. L'énergie des cours d'eau était pratiquement la seule utilisée au début du siècle. Elle déterminait le choix de l'emplacement des établissements. Il n'est pas étonnant que la plupart des industries de cette époque se soient installées à la place d'anciens «moulins». C'était, on l'a vu, le cas de Schlumberger et Herzog au Logelbach.

Turckheim Le barrage sur la Fecht à Turckheim, objet de nombreuses controverses (photo Paul-André Cattin)

La façon d'utiliser l'énergie des rivières était bien maîtrisée. Cependant si l'eau est une énergie renouvelable, dans la nature elle a l'inconvénient de l'irrégularité. Les rivières passent par des périodes de crues et d'étiage. Les industriels ont besoin d'un apport régulier d'énergie sous peine de chômage de leur usine. Lors de la conférence d'histoire des Hautes Vosges de 1998, des spécialistes vosgiens de l'industrie textile estimaient qu'au début du XIXème siècle, une puissance de 1 cheval vapeur soit 736 watts était nécessaire pour faire fonctionner un banc à broches. Cette puissance est le résultat d'une chute de 1 m pour un débit de 75 1 d'eau par seconde. Il faut remarquer que toute l'énergie produite à la chute n'arrive pas à la machine. Les frottements des engrenages et des arbres de transmission sur leurs supports, entre autres, diminuent cette énergie.

Au Logelbach, l'utilisation de l'eau comme source d'énergie pour les moulins était ancienne, mais avait des inconvénients. Le canal, creusé par les bourgeois de Colmar au XIIIème siècle, était tributaire de la Fecht qui est un torrent de montagne au débit très variable. Son histoire a été faite à maintes reprises, les textes les plus intéressants pour cette étude sont un rapport de M. Fleurent au conseil municipal de Colmar du 19 juin 1836 qui tend à prouver que le canal ainsi que les eaux de la Fecht sont propriétés de la ville de Colmar et pour cela reprend tout l'historique du Canal. Une étude plus récente, qui semble inédite, de L. Sittler, archiviste municipal de Colmar, reprend l'histoire en y ajoutant la situation actuelle.

Mais revenons à nos usines. En 1833, suite à une pétition des usiniers et des meuniers se plaignant que le canal ne renferme plus assez d'eau pour faire tourner les installations, le préfet préconise l'interdiction de l'irrigation des prés en période de sécheresse sauf du samedi soir à 6 heures au dimanche soir à la même heure. L'arrêté préfectoral concerne non seulement le Logelbach mais aussi la Fecht, il est affiché dans toute la vallée de Munster. La guerre semble déclarée entre les propriétaires de prés et les industriels. Colmar soutient ces derniers tandis que Turckheim est plutôt favorables aux autres. Un échange de correspondance assez soutenu s'établit entre les deux villes. En 1835, le maire de Colmar constate que le cours d'eau est tellement maigre qu'il ne suffirait plus à fournir l'eau nécessaire en cas d'incendie, d'où un grand danger pour la ville. L'ingénieur des eaux et forêts trouve la même année de nombreuses prises d'eau le long de la Fecht ce qui diminue son débit. Finalement une commission syndicale est nommée, les membres en sont : les maires de Turckheim, Wintzenheim et Colmar, Schwindenhammer à Turckheim, Herzog au Logelbach, Kaepelen meunier à Colmar, les propriétaires de pré Wentzinger à Turckheim, François-Joseph Kempf pour Wintzenheim. De belles bagarres en perspective ! les discussions continueront : qui paiera les gardes ? qui entretiendra le canal ? qui fera rentrer les nombreuses amendes suite aux PV des gardes contre les irriguants ? sans parler des agressions dont sont victimes les gardes... Les choses traîneront jusqu'en 1870.

En 1874 le meunier d'Ingersheim fit un procès aux usiniers : à la suite d'un rehaussement du barrage de Turckheim, son moulin était à sec. C'est dans la plaquette que Ignace Chauffour écrivit à cette occasion (9) que nous apprenons que si le débit du Logelbach était de 2.500 litres par seconde sur le ban de Turckheim, il n'était plus que de 830 1/s chez Herzog. (9) Note sur l'appel émis par la ville de Colmar.

Une autre affaire oppose J. A. Herzog à la municipalité de Turckheim en 1884. En effet, un terrain a été acheté au lieu dit Nussbühl, on y a construit un barrage en contrebas de la nouvelle route menant à Zimmerbach. Des pieux en fer ont été enfoncés dans le lit de la rivière, élevant le niveau de l'eau de 1 mètre ce qui risque d'inonder les terrains avoisinants, d'où plainte des propriétaires et enquête officielle. La construction semble illicite. Les propriétaires riverains sont consultés dans toutes les communes en aval jusqu'à Illhausern.

Herzog s'explique et donne ses intentions. La sécheresse a été telle que ses usines et les ouvriers qui habitent les maisons près des entreprises n'ont plus d'eau potable, il existe même un danger de choléra. Le projet consiste à créer un barrage dont l'eau fera tourner une turbine. Cette turbine actionnera une pompe qui sortira l'eau dans un puits foré à proximité. L'eau sera amenée aux usines par des conduites. Le projet est accompagné de plans et, après quelques modifications, est accepté. (10) ADHR 8 AL 1/7494.

Pour les usines du Logelbach, la seule façon de disposer d'assez d'énergie était d'avoir un grand débit, mais aussi un débit régulier. Des travaux furent entrepris afin de régulariser le cours d'eau. La pente naturelle du terrain entre l'usine Schwindenhammer (actuellement papeterie MF) et Herzog est de 20 m pour une distance de 2 km. On diminua la pente ce qui explique qu'une partie du canal, surtout au niveau du Benzen est nettement plus élevée que le terrain environnant. Un réservoir muni d'une éclusette fut creusé. Un système de régulation et de conduites forcées fut mis en place, un des vestiges est le «Wasserhiesala» sur le ban de Turckheim. Les tours en bois servant de régulateurs ont disparu. Ainsi une chute de dix mètres a pu être obtenue qui, toujours selon Chauffour donnait 181 ch. L'acte de société de 1881 nous renseigne sur les chutes utilisées : 14 m au Logelbach, 3 m à Turckheim, 3,80 m chez Barth et 1,40 m à la Bagatelle où Charles Grad signale trois turbines.

A Orbey, la situation dans un certain sens était semblable. La Béhine est alimentée principalement par les deux réservoirs naturels que sont le Lac Noir et le Lac Blanc. Il nous est difficile d'imaginer ce que furent ces ombilics glaciaires. Une des meilleures images est peut-être la tourbière du Frankenthal. L'eau qui s'écoulait de ces lacs avait un débit irrégulier, très important lors de la fonte des neiges, presque nul en été, période de sécheresse.

En 1839, 23 meuniers et usiniers de la vallée de la Weiss demandent l'autorisation de poser un siphon dans les déversoirs naturels des lacs, comme l'a déjà fait Hartmann pour le Darensee (lac de Soultzeren ou Lac Vert). La polémique s'engage immédiatement. Le maire d'Orbey soutient les agriculteurs qui se plaignent de ce que les usiniers leur prennent «leur» eau. Se pose ainsi la question de la propriété des lacs. En août 1846, un comité écrit au préfet : « La sécheresse, véritable fléau cette année, a mis dans une grande détresse toute la classe ouvrière par suite de la diminution du travail et de l'augmentation des denrées...» Il propose de maçonner, dans le lit des ruisseaux un tuyau en fonte de 40 cm de diamètre fermé par une vanne et de construire une digue artificielle de 4m de haut, comme au lac de Soultzeren.

En juillet 1847, les usiniers Lefébure et Maritz écrivent au ministre des finances pour lui exposer le problème. Le service des eaux et forêts s'en mêle. L'inspecteur fait son rapport, il décrit les lacs (14ha pour le Lac Noir et 28ha pour le Lac Blanc), la végétation environnante très rocheuse sauf une parcelle emboisée par la commune d'Orbey et se déclare favorable à l'installation de petits barrages et d'éclusettes. Le Conseil Municipal proteste et déclare que les barrages sont « la ruine de l'agriculture de cette commune...» ! Le 11 novembre l'inspecteur des eaux et forêts écrit au conservateur, son chef. Il fait l'historique de la propriété des lacs : « suivant plusieurs transactions datées de 1345, 1413, 1456, 1523 et 1730, toutes les propriétés qui environnent les deux lacs depuis le sommet de la montagne jusqu'à la scierie au dessus du village d'Orbey, étaient indivises entre l'ancien Seigneur du Hohnack (11) et l'ancienne abbaye de Pairis. Cette dernière possédait en outre les deux lacs en propriété privée... L'ancien Seigneur est représenté aujourd'hui par la commune d'Orbey et l'abbaye par l'État.» plus loin il dit : « Les écluses auraient l'avantage de procurer toute l'année le même volume d'eau, elles empêcheraient le chômage des établissements industriels et préviendraient les inondations.» (11) Les Ribeaupierre donc.

Les industriels ne restent pas inactifs. Antoine Herzog encourage vivement la réalisation. Les plans sont établis avec coupes des lacs, hauteur des digues, 10m au-dessus du fond du ruisseau, 8m au-dessus du sol naturel, et des installations. L'opposition de la mairie reste cependant vive.

Un élément nouveau intervient en 1852, Lefébure est élu député, puis conseiller général du canton, enfin il est nommé maire d'Orbey par décret impérial. Il reste cependant prudent, craignant des troubles dans la commune. Antoine Herzog est président du syndicat des usiniers et demande qu'on se réfère à lui pour toutes les questions administratives. En 1859, un arrêté préfectoral autorise de construire ou de laisser subsister ce qui a déjà été fait.

La vapeur et ses conséquences

L'énergie hydraulique du Logelbach n'était évidemment pas suffisante. On aura donc recours à la toute nouvelle machine à vapeur. Le voisin Haussmann, avec lequel les relations semblent avoir été amicales, on trouve notamment J. G. Hirn, le père du savant témoin au mariage d'Eugène Lefébure, avait installé une telle machine en 1824. Dans le Traité de Société de 1858, un local pour la machine à vapeur est mentionné au Logelbach et à Turckheim, à Orbey on n'en parle pas.

Là se pose un autre problème. La houille ou charbon qui alimente les foyers des machines doit être amenée au Logelbach. Ce sont des transports lourds et les quantités déplacées par charroi sont limitées. D'où un intérêt certain pour le développement du chemin de fer. Dans l'inventaire après décès d'Antoine Herzog père en 1862, mention est faite de 254 obligations au porteur des chemins de fer Paris-Lyon-Marseille, de 50 obligations des chemins de fer d'Orléans et 80 actions de 500F sur les chemins de fer algériens.

Dans la région colmarienne, le transport lourd se développe. Le port du canal de Colmar permettant la liaison avec le canal du Rhône au Rhin est inauguré en 1864. La ligne de chemin de fer de Mulhouse à Strasbourg est terminée en 1841. La liaison Mulhouse-Paris date de 1857. En 1867 on inaugure la ligne de Munster à Colmar, créée sur l'initiative des industriels de la vallée, Hartmann en particulier. Antoine Herzog fils prendra part à la construction en cédant les terrains nécessaires au promoteur. Au Logelbach la gare est construite et les usines sont raccordées à la ligne. Jusqu'après la 2ème guerre mondiale, la gare du Logelbach comprenait des voies de garage et une grue manuelle pour le déchargement des wagons.

Le coton, matière première

La matière première, c'est à dire le coton égrené en balles venait principalement des États américains, la Géorgie et la Louisiane surtout. La marchandise arrivait le plus souvent au port du Havre et de là était transportée vers les usines. Il fallait pour arriver en Alsace une bonne quinzaine de jours, ce qui explique l'intérêt que semblait porter A. Herzog père au développement du transport ferroviaire.

Or en 1861, éclate la guerre civile américaine appelée « Guerre de Sécession ». Les exportations de coton sont complètement bloquées. La crise est grave dans toute l'industrie européenne, l'Angleterre surtout en souffre. Les industriels alsaciens semblent avoir été assez prévoyants et les stocks sont importants. Cependant ils cherchent des solutions de remplacement et la chambre de commerce de Mulhouse encourage la prospection en Algérie.

Si la conquête de l'Afrique du Nord a commencé en 1830, celle de l'Algérie ne se terminera qu'avec la reddition d'Abdel Kader en 1847. En France, les milieux des affaires considéreront ce pays comme terre à coloniser, c'est à dire à acheter et à mettre en valeur à leur profit. Le milieu gouvernemental est plutôt intéressé par les ports et le contrôle de la Méditerranée, considérant qu'il fallait laisser l'intérieur aux tribus en place. D'où un certain nombre de malentendus dont Herzog, entre autres, fera les frais.

A Mulhouse, quatre sociétés se sont formées, elles iront toutes à l'échec pour des raisons qui, d'après A. Herzog, (12) sont : une fin de non recevoir de la part du général Deligny, des terres qui bien que promises ne sont plus disponibles, un cahier de charges trop lourd, le Gouvernement Général d'Alger impose pour 2.440.000F de travaux d'assèchement et d'irrigation. (12) A. HERZOG,  L'Algérie et la crise cotonnière (Imp. Hoffmann 1864).

Antoine Herzog fils nous raconte son voyage en Algérie. « Je me suis rendu en Algérie afin de mieux étudier les ressources en vue de la production cotonnière. A mon arrivée à Oran, une compagnie anglaise était censée avoir obtenu une concession de 24.100 ha dans les plaines de l'Habra. Les colons du Sig convoitaient les mêmes terres et s'étaient réunis pour les acquérir au prix de 2.410.000 F, réservant une partie du territoire aux capitalistes de la Métropole. Je m'empressai de souscrire le solde avec garantie du paiement de la souscription totale jusqu'à concurrence de 500.000 F ».

Voilà donc A. Herzog engagé dans l'Oranais.

L'Habra est un oued qui descend de l'Atlas. Comme tous ses congénères il est très irrégulier, sujet à des crues subites et de longues périodes de sécheresse. Il entre dans la plaine côtière après avoir contourné le djebel Merzog aux environs de Perrégaux (actuellement Mohammadia). Avant de se jeter dans la Méditerranée, il reçoit l'oued Sig et forme depuis son confluent jusqu'à la mer un vaste marais, la Macta, qui débouche dans le golfe d'Arzew.

Un traité proposé le 25 juin 1862 au duc de Malakoff, Gouverneur Général de l'Algérie, (13) échoue, ce dernier semble privilégier les Anglais. (13) II s'agit du Maréchal Aimable Pélissier, qui avait été général en chef de l'armée d'Orient.

Une nouvelle lettre est envoyée le 24 novembre, cette fois le maréchal est absent et le sous-gouverneur ne se décide pas Le post-scriptum de cette lettre est intéressant :

« Au moment où cette lettre allait être mise à la poste, M. Herzog, l'un des principaux représentants de l'industrie alsacienne, est venu apporter à la Société cotonnière oranaise un précieux concours. Après examen de l'affaire fait sur place, il a souscrit 500 hectares au nom de M. Lefébure-Herzog, député du Haut-Rhin, son beau-frère ; il a souscrit en son nom personnel, tout ce qui restait d'hectares, avec engagement de prendre tous les lots pour lesquels le paiement du cinquième ne serait pas fait en temps prescrit, jusqu'à concurrence de 5.000 hectares... En désespoir de cause, A. Herzog se résout à plaider sa cause au plus haut niveau : il demande audience à l'Empereur et Eugène Lefébure, député du Haut-Rhin, intervient à la chambre, là aussi, rien ne se produit. A Alger on établit un nouveau cahier de charge qui provoque le retrait de tous les intéressés. Resté seul A. Herzog renonce à son tour. Il s'en explique « La grande pénurie de matière première a beaucoup diminué depuis un an ; elle aura disparu en 1865. Je me suis occupé de la production cotonnière en Algérie pour atténuer les effets de cette pénurie ; mon intervention n'ayant plus l'actualité qui pouvait motiver un éloignement presque constant de mes affaires et de ma famille, j'ai dû renoncer à des projets, désormais sans opportunité. »

Les projets d'Antoine Herzog étaient, tout d'abord des travaux hydrauliques dont il était coutumier. Il fallait barrer l'oued Habra en amont de Perrégaux qui, à l'époque était une bourgade misérable, pour lui fournir de l'eau et irriguer les terrains de culture, ensuite il s'agissait d'assécher les marais et d'y établir une ville, enfin il convenait de coloniser la région. Ainsi il prévoyait de lotir 3.600 hectares en 60 lots de 15ha, 30 de 50ha et 12 de 100ha. « Des maisons avec écuries, remises et hangars, proportionnés à l'étendue de la concession, eussent été immédiatement construites sur la moitié des lots. Les acquéreurs pouvaient à leur choix, acheter un terrain avec ou sans construction, et se mettre aussitôt à l'œuvre sans perte de temps, ni d'argent, au centre de ce territoire, une ferme modèle (que j'eusse fondée), sous la direction d'un homme expérimenté, aurait indiqué aux colons les meilleurs modes d'exploitation. Un matériel perfectionné, tel que charrues, machines à battre, locomobiles, placé dans la ferme modèle, eût été mis à la disposition des petits cultivateurs, moyennant une faible rétribution...», l'auteur parle au subjonctif ce qui montre bien une opération restée à l'état de projet.

La description du projet avec voies de communications, travaux d'irrigation, assèchements, constructions et lotissements tient une dizaine de pages.

Que reste-t-il de cette aventure ? Pas grand chose apparemment. Dans l'inventaire après décès de Joseph Antoine Herzog en 1892, nous trouvons une propriété à Oran et quelques débiteurs pour environ 50.000F. On sait aussi que Léon Albert Lefébure fut envoyé dans la région et qu'il y fit ses premières armes politiques, il fut conseiller général d'Oran de 1864 à 1867, né en 1838, il avait alors moins de trente ans. D'autre part, nous avons vu que le futur président du conseil de surveillance, Eugène Herzog résidait à St Eugène dans la banlieue d'Alger.

Une autre aventure cotonnière fut tentée au Sénégal. Là elle semblait réussir, des plantations furent faites, mais une invasion des terribles criquets pèlerins la ruina.

La culture du coton fut tentée sur tous les sites possibles autour de la Méditerranée et donna parfois de bons résultats. A. Herzog déplore cependant la mauvaise qualité de certains produits fournis, due à des mélanges de capsules et de coton mûr dans le but d'augmenter le poids des balles.

L'esprit d'entreprise des propriétaires des usines les fera prospérer. Un souci constant du progrès guidera ces capitaines d'industrie dans leurs démarches. Ainsi les usines pourront tourner au mieux et seront dans la mesure du possible à l'abri des aléas multiples qui les guettent.

 

Schéma de la région de l'Habra (Algérie).


Paul-André CATTIN

Annuaire N° 4 – 2000

Société d’Histoire de Wintzenheim

(À suivre)


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