WINTZENHEIM . LOGELBACH

Histoire de Logelbach (Durrenlogelnheim) par Auguste Scherlen


Extrait du livre "Colmar, village et ville" publié en 1931

Deinheim, Blienschwiller et Durrenlogelnheim, localités disparues dans la banlieue de Colmar

Il y avait autrefois, dans la banlieue de Colmar, plusieurs localités, aujourd'hui disparues, dont nous citons spécialement : Deinheim, Blienschwiller et Durrenlogelnheim.

[...] Non loin, à l'ouest de Colmar, se trouve le centre industriel de Logelbach qui, tout en formant une paroisse, ne constitue pas une commune indépendante, mais, au point de vue juridique et administratif, dépend de Colmar, de Wintzenheim et d'Ingersheim.

Les raisons et les origines de cette singulière situation ? Le nom de la localité provient du canal qui, depuis des temps immémoriaux, relie la Fecht à la Lauch, et actionnait autrefois des forges, des moulins et des papeteries et, de ce fait, était à juste raison appelé « Mühlbach ». En 1478 déjà, l'empereur Frédéric autorisa les Colmariens à dériver les eaux du canal (so aus dem wasserfluss die Veche genannt), leur ordonnant, du même coup, de considérer ce canal comme une voie publique de l'Empire. Ce document, qui conférait à Colmar, d'une façon peu explicite d'ailleurs, le droit d'utiliser les eaux de la Fecht jusqu'à sa source, eut son importance, puisque Colmar s'en servit, dans les nombreux procès qui, par la suite, furent engagés entre Colmar et les villes de Turckheim et de Munster, etc...

Ce n'est qu'en 1575 que le Muhlbach nous apparaît, pour la première fois, sous la dénomination de Logelbach, nom provenant de l'ancienne agglomération de Durrenlogelnheim, dont le centre se trouvait au carrefour des routes reliant Turckheim, Colmar, Eguisheim, Wintzenheim, Ingersheim, carrefour sur lequel s'élevait un pâté de maisons.

Le terme allemand de « Logel » signifie « petite parcelle de terrain ». Le terrain qui s'étendait le long du Muhlbach semble avoir été primitivement plus sec (dürr) que celui qui entourait le village de Logelnheim (entre Andolsheim et Sainte-Groix-en-Plaine, bourg qui, de même que celui de Durrenlogelnheim, devait obéissance aux seigneurs de Guirsberg, dans la vallée de Munster).

M. Boyer (186o) place le (Logen-) Lügenfeld (champ du Mensonge) aux environs de Durrenlogelnheim ; on sait que Louis, en 833, y rencontra ses fils.

Une chose est certaine, c'est qu'à proximité du bourg de « Logelnheim », un violent combat fut livré, le 8 novembre 1178 entre Cunon de Horbourg et Egélolphe d'Urselingen, l'aïeul de la seconde ligne des seigneurs de Ribeaupierre [d’après le Fragmentum Historicum].

Il ressort d'un certain nombre de documents que des vignes entouraient le village et, très tôt déjà, presqu'au XIIIe siècle, une rente, provenant d'un coteau de « Logelnheim », était payée au chambellan de l'abbé de Munster.

Le nom de « Durren Logelnheim » apparaît une première fois dans une nomenclature des rentes qui, vers 1302-1304, étaient dues au pape ; en vertu de ce document, le village possédait déjà, à cette époque, une église qui semble avoir été dédiée à saint Nicolas. Toutes les propriétés qui payaient la dîme à cette église, formaient le ban de Durrenlogelnheim, ban tel qu'il figure toujours sur un plan cadastral de Wintzenheim (XVIIIe siècle). A proximité de l'église ou de la chapelle, s'élevait la cour colongère qui, en 1371 déjà, touchait des redevances de l'hôpital de Colmar. Cet hôpital avait, en 1366, remis au gentilhomme Berthold Schultheiss, de Sigolsheim, une mesure de vin, provenant de Durrenlogelnheim, où Saint-Martin et Saint-Jean de Colmar, les familles nobles de Froeschel, de Falckenstein et de Hungerstein possédaient des biens et où Pairis exploitait une forge en 1382.

Les nobles de Guirsberg étaient seigneurs de la localité. En 1410, ils cédèrent leurs droits à ceux de Ribeaupierre qui, eux-mêmes, les acceptèrent à titre de fief, en 1507, des mains de l'abbé de Murbach. Les seigneurs de Guirsberg prélevaient, dans le ban de Durrenlogelnheim, une partie de la dîme, dont un tiers appartenait, en 1486, à l'évêque de Metz qui, à son tour, remit ses droits comme fief à Gaspard de Freiberg, dit Durr et, plus tard, aux familles nobles d'Ampringen et de Neuenstein. [Fief : terre concédée par un seigneur à un vassal en échange d'obligations de fidélité mutuelle, de protection de la part du seigneur, de services de la part du vassal].

Suivant une relation, conservée aux archives municipales de Colmar (1608), le hameau de Durrenlogelnheim ne se composait plus que d'une chapelle au début du XVIIe siècle.

Une ancienne légende dit que la peste y aurait décimé la population et que seul le sacristain serait resté en vie. Lorsque celui-ci, emportant les trésors de l'église, raconte-t-on encore, se serait présenté, la nuit même où l'épidémie l'assaillit à son tour, aux portes de Turckheim, l'accès de la ville lui aurait été interdit, de sorte qu'il dut se rendre à Wintzenheim.

Quant à la chapelle, elle fut détruite en 1603, au cours des combats que les gens de Wintzenheim soutinrent, à propos de Saint-Gilles, contre Colmar.

Stoeber, dans sa légende intitulée : « Pourquoi Logelbach fait partie de Wintzenheim », présente le fait d'une autre façon.

Suivant cet aimable conteur, toute la population féminine ainsi qu'une partie des hommes, disparurent de l'agglomération. Les survivants, embarrassés, s'adressèrent aux jeunes filles de Turckheim pour contracter mariage avec elles. Repoussés par celles-ci, nos jeunes gens furent acceptés par celles de Wintzenheim. A titre de reconnaissance ils cédèrent, par la suite, leurs propriétés à Wintzenheim, ce qui expliquerait pourquoi, aujourd'hui encore, Logelbach dépend de Wintzenheim.

Extrayons de ces deux légendes le fond historique.

Il est fort probable qu'à un moment donné, Logelnheim ou Durrenlogelnheim formait une paroisse indépendante. L'église et la cour colongère se trouvaient dans un ban englobé par celui de Wintzenheim, ban qui ne constitue qu'une partie du Logelbach actuel. Disons, entre parenthèses, que Logelbach ne semble jamais avoir eu une administration communale indépendante.

Les habitants de l'agglomération passaient leurs contrats à Wintzenheim et Colmar et dépendaient de la juridiction de Wintzenheim ; il est vrai, mais cela ne change rien à la situation que, dès 1440, les documents parlent d'une potence qui se trouvait à Durrenlogelnheim, et qu'en 1729, le détenteur de la seigneurie de Ribeaupierre, en tant que successeur des seigneurs de Guirsbourg, revendiqua les droits seigneuriaux de Durrenlogelnheim.

En 1441, la paroisse avait décliné à tel point, qu'aucun prêtre n'y demeurait ; en 1660, enfin, les gens de Turckheim érigèrent une potence [ou gibet=Galgen] dans le ban de Wintzenheim, au bord de la route, dans la section du ban dite « Benzen », non loin du Logelbach.

Après la démolition de la chapelle (chapelle Saint-Nicolas ou chapelle Borer), qui se trouvait au « Kapelplon », à proximité de la limite du ban de Turckheim, et qui fut probablement rapidement reconstruite, puisqu'il en est fait mention une nouvelle fois en 1619 et 1659, on préleva, séparément de la dîme de Wintzenheim, la dîme de la cour colongère de Saint-Nicolas, de Logelnheim.

I1 est d'ailleurs logique que, dans ces circonstances, Durrenlogelnheim,, dont le ban était, de 1510 à 1619 déjà, incorporé à celui de Wintzenheim, fut doté jusqu'à la Révolution d'un règlement des vendanges spécial (ayant trait aux cantons dits Neugesetz, Colmarer Weg, Schlittweg, Muhlbach et Bentzen), et que des valets furent tout spécialement chargés de prélever la dîme au Logelbach.

Les règlements en question sont notés dans les archives municipales de Wintzenheim à partir de l'an 1708. C'est en 1627 que le curé Jean Pfaff, de Wihr-au-Val, le fermier welche Joseph Grimmel et Mathieu Ditsch prélevèrent la dîme à « Logeln » et firent citer à Wintzenheim les retardataires récalcitrants. En 1665, un certain nombre de bourgeois colmariens se refusèrent de payer la dîme qui frappait, à Durrenlogelnheim, quelques anciennes propriétés de la seigneurie de Guirsbourg. En 1751, l'on répartit la dîme de façon qu'un sixième revînt au détenteur de la seigneurie de Ribeaupierre, deux sixièmes au seigneur de Schauenbourg, de Herrlisheim, deux sixièmes au curé de Wihr-au-Val et un sixième à l'évêque de Metz ou à son vassal, le gentilhomme de Fleuville. A partir de 1752, le curé de Wintzenheim prélevait une part sur le total de la dîme, dite petite dîme.

Une chose qui m'a surpris, lors de mes recherches, c'est qu'en 1661 il est fait mention, dans les documents des archives municipales de Turckheim, du bourgmestre Antoine Hufflin, de « Logele ». Il est hors de doute que Hufllin demeurait à Logelnheim et pas au Logelbach lorsque, en 1675, le terrain situé entre Durrenlogelnheim et Turckheim fut le théâtre de la fameuse bataille que le maréchal de Turenne remporta sur le Grand Electeur de Brandebourg.

En 1687, Paul Riegert quitta Turckheim, qui lui avait interdit de construire dans sa scierie un second couloir ; froissé des procédés dont on avait usé à son égard, il édifia, sur un terrain qu'il avait acquis en 1684 près du « Logeler Muhlbach », le moulin dit « Neuemiihle ». I1 appert d'un plan de 1702, que les moulins en question s'élevaient à l'emplacement actuel des usines Haussmann, à l'est de la « poudrerie ».

Celle-ci se trouvait dans le ban de Colmar, et comprenait la partie est des établissements Haussmann, touchant aux limites du ban de Wintzenheim ; sur les anciens plans, elle se présente comme une forteresse ; un fossé de l'ancienne poudrerie conduit, aujourd'hui encore, de l'usine au Muhlbach, qu'il gagne en face de la rue des Fileurs.

La poudrerie, dans laquelle on fabriquait, en général, 800 kilogrammes de poudre par jour, appartenait à l'Etat et faisait la terreur du voisinage. Dépendant du directeur des services qui habitait Colmar, des explosions, les chroniques de Colmar nous l'affirment, s'y produisirent en 1692, 1729, 1732, 1753, 1772 et 1786. Le nombre des victimes que firent les divers accidents fut considérable ; la plus terrible explosion se produisit le 26 juillet 1822 : à cette époque, un incendie détruisit la maison d'habitation du commissaire royal Pélissier ; douze ouvriers périrent d'ailleurs dans les flammes. 2.500 kilogrammes de poudre auraient sauté, à cette occasion. Par la suite, l'on ramassa les débris de la poudrerie pour en faire une pyramide, qui fut dotée d'une inscription rappelant la catastrophe.

Aujourd'hui, la limite du ban de Wintzenheim traverse les établissements Haussmann. La partie des usines qui se trouve dans le ban de Wintzenheim s'élève sur le terrain de l'ancienne tannerie et d'une vieille forge, à laquelle sont intimement liés les noms de Goll, Riegert, Bentz, le couvent de Pairis et l'ordre de Saint-Jean de Colmar.

La tannerie avait, en 1762, été édifiée par le mégissier colmarien Jean Baer, avec l'assentiment des autorités communales de Wintzenheim. Vers 1767, trois frères, malgré le réel danger que présentait la proximité de la poudrerie, acquirent l'immeuble, dans le but de construire sur son emplacement une usine d'impression ; ces frères étaient les neveux d'un négociant qui était originaire de Saxe-Weimar, le petit-fils d'un pharmacien de Colmar (décédé en 1736) et le fils du pharmacien Chrétien Haussmann qui, né à Colmar en 1715, avait donné à ses enfants une excellente instruction. Les frères Haussmann, à la suite des lettres patentes du 27 juin 1775, obtinrent un privilège à Rouen, qu'ils étendirent à Colmar le 13 août 1776.

L'aîné, que l'on appelait communément docteur, était pharmacien et médecin ; il semble avoir été l'âme de l'entreprise. Le second, Jean-Michel, possédait les connaissances techniques, mécaniques et chimiques, indispensables pour activer la production de l'usine ; quant au troisième, du nom de Jean, nous savons qu'ayant épousé la carrière de négociant, il travailla à Strasbourg, à Berlin, à Vienne et, en fin de compte, à Augsbourg, pour terminer sa vie en qualité d'actionnaire du nouvel établissement. Son séjour à Augsbourg lui valut l'épithète d' « Augsbourgeois ». Un quatrième frère, du nom de Nicolas, se fixa à Paris, où il fonda une succursale du Logelbach ; il a été le grand-père du préfet de la Seine, Georges-Eugène Haussmann, qui transforma Paris au point de vue esthétique aussi bien qu'hygiénique (boulevard Haussmann). Jean-Michel Haussmann, qui était connu sous le sur-nom de « Logelbach », avait une fille Louise, qui épousa le sieur Jean-Georges Hirn, dessinateur aux usines Haussmann; il fut le père du physicien Adolphe Hirn, qui naquit le 21 août 1815 et mourut en 1890.

Après son mariage avec Louise Haussmann, Jean-Georges Hirn entra, en tant qu'associé, dans la société, au sein de laquelle il eut l'occasion, de contribuer à la prospérité de l'entreprise, grâce à l'originalité et à la beauté des modèles qu'il créa.

La famille d'émigrants français Jordan s'allia, par la suite, avec les Haussmann. Louis-André Jordan (né à Berlin), était depuis 1778 associé aux frères Haussmann ; il épousa en 1782 la demoiselle Madeleine Haussmann, fille du pharmacien Chrétien Haussmann et, jeune marié, il alla se fixer à Versailles.

Au début de la Révolution, l'entreprise fut, on le comprend, obligée de fermer ses portes, de même que la succursale de Versailles disparut.

La situation politique amena enfin, en 1798, la dissolution de la société, qui ne se reconstitua qu'en 1803, pour connaître rapidement un bel essor.

En 1827, l'on fonda, à l'usine même, la première école. On y avait, jusqu'alors, occupé de cinq heures du matin à huit heures du soir, des enfants de dix ans ; dans ces circonstances, il est naturel que les ouvriers saisirent avec empressement l'occasion qui était offerte à leurs enfants d'acquérir, au cours de trois heures de travail avec leur maître, les notions les plus élémentaires de l'enseignement primaire. Outre cette école, un sanatorium, qui fut fondé en 1898 par Mademoiselle Jordan, rappelle le souvenir de la famille Haussmann.

A cette époque vivait au Logelbach le sieur Antoine Herzog, fils d'une honorable famille de Dornach, où il était né le 15 janvier 1776.

La chapelle qui contient la crypte de la famille Herzog, et qui fut construite en 1862 sur le modèle de la Sainte-Chapelle de Paris, est due à l'intervention des Herzog, de même que l'hospice qui fut ouvert en 1871, et l'école. En outre, la famille Herzog fit construire en 1889, au Letzenberg, une chapelle dédiée à Saint-Antoine, et qui fut détruite au cours de la grande guerre.

La chapelle privée du Logelbach fut, par la suite, ouverte au grand public, de sorte qu'en 1891, Logelbach devint une annexe de la paroisse de Wintzenheim. L'on sait que le dessinateur Michel Hertrich, de Turckheim (décédé en 1880), et l'écrivain Charles Grad (décédé en 1890), ont fait partie du personnel de la maison Herzog.

Antoine Herzog racheta, en 1860, l'usine dite « Maison rouge - Moulin rouge », de la famille Ludwig. La fabrique Herzog, de la Bagatelle, se trouve sur l'emplacement d'un moulin à blé et d'une maillerie, qui appartint de 1702 à 1791 à la famille Weiss.

En 1548, il y avait au Logelbach (ban de Colmar), aussi une aiguiserie, qui était située vis-à-vis d'un moulin à blé. Au XIXe siècle, l'aiguiserie fut remplacée par la filature Stœckler, de Sainte-Marie-aux-Mines.

L'ancienne fabrique Barth-Kiener (usine Herzog depuis 1870) est, aujourd'hui encore, connue sous le nom de « Rothmühle », chose toute naturelle, quand on sait que, vers la fin du XVIIIe siècle, son propriétaire Metzger y faisait moudre du blé et de la garance ; elle avait, d'ailleurs, auparavant, servi de forge. Une partie de l'hospice pour vieillards, qui fut construit en 1905, s'élève à l'emplacement d'une ancienne forge qui, à la Révolution, avait appartenu au sieur Jacques Burkhard, dont les anciens ateliers portent, de nos jours encore, la date de 1773 et les initiales du patron, qui fut assassiné en 1791.

L'origine des usines Scheurer semble remonter à l'an 1840 ; elles ont été, de toute façon, pour la première fois imposées en 1844.

La partie du Logelbach qui dépend d'Ingersheim n'ayant jamais été incorporée dans l'ancien Durrenlogelnheim, n'a, pour ainsi dire, pas d'histoire, alors que les parties du Logelbach qui sont situées dans les bans de Wintzenheim et de Colmar ont connu une évolution plusieurs fois séculaire, à laquelle sont intimement liés les noms de Haussmann, de Hirn, de Herzog, de Grad, de Hertrich et de Jordan.

Souhaitons tout le bien possible à Logelbach, qui reçut une gare de chemin de fer en 1868 et une autre en 1885 (ligne de Kaysersberg) ; à Logelbach, qui est enfin devenu paroisse autonome, dotée, en 1927, d'une église ultra-moderne.

Source : Colmar village et ville, par Auguste Scherlen, 1931, Imprimerie Alsatia Colmar


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